Nous parlons de plus en plus d’une nouvelle classe de médicaments, à l’origine développés pour traiter le diabète type 2 et utilisée aujourd’hui pour la perte de poids : les antagonistes de GLP-1. Alors que les industriels, chercheur·ses et médecins semblent enthousiastes à l’idée d’avoir trouvé la « solution » à la « crise » de l’ob*sité, je vous propose d’explorer le scandale du Fen-Phen pour rappeler qu’un tel enthousiasme a déjà existé, provoquant d’importants manquements à la sécurité des personnes grosses.
Note : Vous trouverez un tableau récapitulatif des différents actifs en fin d’article1.
Le Fen-Phen est la combinaison de fenfluramine (Pondimin) et de phentermine (Ionamin, Sentis,…), deux médicaments amaigrissants. La prise conjointe a été adoptée pour compenser les effets négatifs de la fenfluramine (actif jouant sur la sérotonine, amenant certain·es patient·es à dormir entre 12 et 18h par jour) avec la phentermine (stimulant dérivé de l’amphétamine).
La combinaison a été étudiée pendant quatre ans par Michael Weintraub, un chercheur décrivant la grosseur comme une maladie chronique et souhaitant mettre les personnes grosses sous traitement permanent, les comparants aux patient·es diabétiques prenant de l’insuline.
À partir de 1995, la fenfluramine est concurrencée par un nouvel actif : la dexfenfluramine. Cette dernière monte en popularité car elle ne provoque pas de somnolence chez les patient·es.
Alors que la prise (parfois combinée, parfois isolée) de ces trois médicaments augmente, des clinicien·nes observent une augmentation inquiétante des cas d’hypertension artérielle pulmonaire (augmentation de la pression dans les artères pulmonaires) ainsi que de valvulopathies (dysfonctionnements des valves cardiaques). Des centaines de patient·es perdent la vie. Faisant le lien avec la prise de fenfluramine et de dexfenfluramine, un nombre de chercheurs, professionnels de santé et avocats se battent pour faire retirer ces deux actifs du marché, ce que la FDA annonce en 1997.
Les études et enquêtes conduites autour de ce scandale sanitaire n’ont pas incriminé la phentermine. Cette dernière n’a jamais été retirée du marché. De fait, il est plus juste de parler de l’affaire de la fenfluramine et de ses dérivés. Pourquoi cette distinction est-elle importante ? Parce qu’elle vient mettre ne lumière le fait qu’il s’agit d’un scandale aussi bien américain… que français ! Voyons voir pourquoi !
Pour commencer, la fenfluramine est le produit de recherches des Laboratoires Servier. Bien que la dexfenfluramine soit le fruit des travaux de Robert Wurtman (MIT), elle a été commercialisée par Servier en France sous le nom “Isoméride” (1985).
En second lieu, le scandale de la fenfluramine/dexfenfluramine émerge tout d’abord en France, où une augmentation d’hypertensions pulmonaires associée à la prise d’Isoméride est observée dès 1991. Cela mène à mettre sur pied une étude : l’International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS), chapeauté par le Dr. Abenheim2.
Les résultats finaux, publiés en 1996, montrent une augmentation par 2 300 fois le risque d’hypertension pulmonaire chez des patient·es ayant pris le médicament comme indiqué (c’est-à-dire pas plus de 3 mois)3.
Une étude publiée en août 1997 par la Mayo Clinic aux États-Unis conclut quant à elle que 25 à 30% des personnes ayant pris de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine pendant 2 à 3 mois pourraient développer une valvulopathie et certaines auraient à subir des opérations4.
Dès la mise à disposition des résultats préliminaires de l’IPPHS en 1995, des restrictions sont imposées en France. L’Agence du médicament française suspend finalement l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) de l’Isoméride en septembre 1997.
Pendant ce temps, l’entreprise Wyeth tend d’obtenir une AMM pour la dexfenfluramine (nom commercial : Redux) aux États-Unis. Des chercheur·ses français·es tentent d’avertir la FDA quant aux effets de l’Isoméride pour empêcher que d’autres patient·es se voient prescrire l’actif en question. Wyeth ment et dissimule certaines données, négocie une mise sur le marché précoce malgré les réserves d’un nombre de scientifiques de la FDA. En parallèle, l’entreprise mène une campagne de marketing éhontée sur les dangers de l’ob*sité.
La fenfluramine et la dexfenfluramine sont finalement retirées du marché américain le 15 septembre 1997, après 2 ans de commercialisation. Le lendemain, la FDA annonce qu’elle estime entre 363 000 et 725 000 le nombre de personnes à risque de développer une valvulopathie.
À la suite du retrait de ces médicaments, de nombreux procès et actions collectives sont menés pour dédommager les personnes et familles touchées par le scandale sanitaire. En 2003, Forbes indique que Wyeth aurait payé quelques 13 milliards de dollars5.
Le nombre exact de personnes ayant développé ou à risque de développer une pathologie à la suite d’une prise de fenfluramine/dexfenfluramine n’est pas connu. En effet, une étude de 2006 par une équipe française montre que les effets indésirables de certains médicaments amaigrissants (dont la fenfluramine et la dexfenfluramine) apparaissent plus de deux ans après la dernière prise dans 75% des cas, plus de cinq ans dans 40% des cas6.
NB : Il faut également noter qu’au nombre de personnes ayant pris de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine doit être ajouté le nombre de personne ayant prix du benfluorex (famille de la fenfluramine), commercialisé par les Laboratoires Servier sous le nom de… Médiator.
- Pour des informations supplémentaires sur le scandale du Fen-Phen, voir Mundy (2010) Dispensing with the Truth. St Martin’s Press (NY), 424 p. ; Maintenance Phase (2020) Fen-Phen & Redux (podcast). ↩︎
- The International Primary Pulmonary Hypertension Study Group (1994) The International Primary Pulmonary Hypertension Study. In Chest 105(2): 37S-41S. ↩︎
- Abenhaim et al. (1996) Appetite-suppressant drugs and the risk of primary pulmonary hypertension. In NEJM 335(9): 609-616. ↩︎
- Connolly et al. (1997) Valvular Heart Disease Associated with Fenfluramine-Phentermine. In NEJM 337: 581-588. ↩︎
- Forbes (2003) Bad Medicine. ↩︎
- Humbert et al. (2006) Pulmonary arterial hypertension in France: Results from a national registry. In Am J Respir Crit Care Med 173(9): 1023-30. ↩︎
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