Affaire du Fen-Phen (3) Minimiser les risques

L’affaire du Fen-Phen aux États-Unis arrive sur les talons de nombreux autres scandales sanitaires liés à des médicaments amaigrissants. Dès les années 1930, des produits à base d’amphétamine sont commercialisés, dans un premier temps pour combattre les rhumes (!) puis pour booster les soldats pendant la Seconde Guerre Mondiale1. Des effets amaigrissants étant observés, de nouveaux “traitements” fleurissent dans années 1960 sans grande régulation, promettant aux femmes (contexte cisnormatif) un corps svelte et désirable. Cependant, les pilules miracles commencent à faire des remous : elles sont addictives et causent la mort de nombreuses personnes, notamment de femmes essayant de perdre du poids2.

Malgré des scandales à répétition, la grossophobie historique3 associée à une médicalisation progressive de la grosseur crée un contexte propice au développement de nouveaux médicaments. Sont influencés par ce contexte : les “entrepreneurs de l’ob*sité” (entreprises pharmaceutiques et les chercheur·ses)4, les médecins, les régulateurs·rices et les patient·es. Tous les moyens doivent être mobilisés pour faire face à cette “crise” naissante, pour gagner la “guerre” contre l’ob*sité. Et, dans l’exemple du Fen-Phen comme dans bien d’autres cas, cela amène à sacrifier (consciemment ou non) la sécurité, la santé et le bien-être des personnes grosses.

Dans le monde de la recherche, les financements (notamment de l’industrie pharmaceutique) dédiés à étudier de nouvelles molécules anorexigènes explosent : il faut mettre les moyens pour endiguer la grosseur. Cela veut aussi dire que les chercheurs·ses vont se concentrer sur ce paradigme pondéro-centré (qui met le poids au coeur du sujet) parce que cela leur permet de payer leur salaire. En parallèle, la recherche non-pondéro-centrée (comme Health At Every Size) est ignorée, délaissée. Conséquence : pas de recherche = pas de résultats = pas d’approche chiffrée pouvant apporter un regard nuancé sur le lien poids/santé.

Dans le monde pharmaceutique (qui parfois paye les chercheurs·ses de la slide précédente), une approche pondéro-centrée amène à ne tester les “traitements” que pour leur impact pondéral. Après tout, si la personne perd du poids, elle sera guérie de toute maladie et vivra jusqu’à 100 ans (pensée magique). C’était le cas des études sur le Fen-Phen et c’est aujourd’hui le cas pour les études sur Wegovy.

Les études sont aussi de court terme, ce qui signifie que si l’on observe une amélioration de certains facteurs (glycémie, dyslipidémie, tension…), on ne sait pas si cette amélioration persiste au delà de l’étude (généralement entre 6 et 12 mois). Comme les chercheurs·ses tendent à ignorer le fait que nos corps sont faits pour reprendre le poids perdu, ils n’observent pas non plus l’impact d’une reprise de poids après l’étude (métabolisme, santé cardiovasculaire, etc.).

Du côté des régulateurs, le discours grandissant sur une soi-disante “épidémie d’ob*sité” amène à mettre sur le marché des médicaments dont les études sont insuffisantes, parcellaires.

La FDA a par exemple autorisé la vente de Redux (dexfenfluramine) malgré des données sur une possible neurotoxicité (augmentation des symptômes dépressifs, troubles du sommeil et de la mémoire, irritabilité, léthargie, etc.), demandant à Wyeth de conduire une étude de phase 4 après mise sur le marché5.

Aujourd’hui, les régulateurs français ont accepté la mise sur le marché de Wegovy alors qu’iels notent que les données fournies sont insuffisantes, notamment concernant la santé cardiovasculaire et métabolique, les effets d’une prise de long terme et une possible reprise de poids avec l’arrêt du “traitement”6.

Chez les médecins, l’exposition à la grossophobie (notamment en école de médecine7) amène à penser que la grosseur est la cause de tous les maux. De fait, 1) tous les symptômes chez les personnes grosses sont causés par leur poids ; 2) tout·e patient·e doit être sensibilisé·e ; et 3) tout doit être fait pour leur faire perdre du poids.

Cela peut avoir pour conséquence une diminution de la résistance à prescrire, même en l’absence de données solides ou face à l’émergence de problèmes de santé. De la même manière que les symptômes de TCA “restrictifs” sont ignorés chez les personnes grosses lorsqu’elles perdent du poids, on va ignorer les possibles effets secondaires ainsi que les risques, parce que rien n’est pire qu’être gros·se.

Face aux médecins qui leur proposent une solution “miracle” à même de leur offrir santé et longévité, les patient·es sont vite convaincu·es. On nous martèle à longueur de temps que nos coeurs sont des bombes à retardement, que nous allons mourir dans les deux jours qui viennent ou que nous ne verrons pas nos enfants grandir — pour ceux qui en ont, parce que pour les autres, on vous dira que vous ne pourrez pas en avoir [8]. Je comprends les personnes qui voient Redux, Médiator ou Wegovy comme un moyen d’améliorer leur santé, mais aussi de diminuer les violences et discriminations dont iels font l’objet au quotidien. Malheureusement, cela les incite à prendre des risques importants qui ne leur sont pas nécessairement communiqués.

Je vous écris ce long post parce que je souhaite discuter de ce qui se cache derrière l’affaire du Fen-Phen et Redux : le fait que l’on fait peu de cas de la sécurité et de la santé des personnes grosses.

Le scandale de la fluramine/dexfenfluramine, ce n’est pas un cas isolé de quelques dirigeants véreux qui s’inquiétaient de devoir “passer mes dernières années à écrire des chèques à des personnes ob*ses qui s’inquiètent d’un stupide problème pulmonaire”. Au contraire, il s’inscrit dans une lignée de médicaments mal testés et mal régulés, qui ont causé la mort de milliers de personnes.

Ce que cette affaire nous dit, c’est que dans un contexte où la santé est corrélée à la minceur et où rien n’est trop pour faire perdre du poids, la protection des personnes grosses est inexistante : les études sont courtes, ont des méthodologies douteuses, ne s’intéressent pas à la santé mais au poids. Et quand on observe des risques liés aux traitements, notre obsession de la minceur nous encourage à les minimiser et à pousser les patient·es à les accepter. Conséquence : on met en danger la santé des personnes grosses tout en rejetant la responsabilité sur elles quand un problème survient.

Éthique 0 – Grossophobie 1.

  1. Blakemore (2017) A Speedy History of America’s Addiction to amphetam!ne. In the Smithsonian Magazine. ↩︎
  2. McBee (1968) The end of the rainbow may be tragic — scandal of the diet pills. In Life Magazine, 64(4). ↩︎
  3. Strings (2019) Fearing the Black Body: The Racial Origins of Fat Phobia. NYU Press (NY), 296 p. ↩︎
  4. Monaghan, Hollands, & Pritchard (2010) Ob*sity epidemic entrepreneurs: Types, practices and interests. Body & Society, 16(2), 37-71. ↩︎
  5. Mundy (2010) Dispensing with the Truth. St Martin’s Press (NY), 424 p. ↩︎
  6. Haute Autorité de Santé (2022) Avis sur les médicaments — Wegovy. ↩︎
  7. Phelan et al. (2014) Implicit and explicit weight bias in a national sample of 4,732 medical students. Ob*sity, 22(4), 1201-1208. ↩︎

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