Grosseur & crise climatique

À plusieurs reprises, j’ai pu lire des articles faisant de la grosseur un des facteurs aggravant de la crise climatique. La logique est simple, implacable : les personnes grosses ont le corps qu’elles ont car elles consomment trop de calories. Or, produire des calories, c’est émettre des gaz à effet de serre. Conclusion : les personnes grosses produisent plus de CO2 que les personnes minces et si on pouvait faire perdre du poids à tout le monde, nos émissions globales seraient en baisse.

Je n’exagère pas. Il existe des études publiées dans des journaux scientifiques avec revue des pairs qui font des calculs élégants sur le nombre de tonnes de CO2 que nous pourrions gagner à tous être minces. Certains chercheur·ses ont par exemple avancer que les personnes grosses produisent 20% de CO2 additionnels que les personnes – je cite – “normales” (oui oui).

Le problème : ces chercheur·ses sont généralement des économistes qui ne connaissent absolument rien à la nutrition ni à la biologie. Iels appliquent des modèles linéaires, basés sur des approximations et des simplifications qui feraient tiquer tout·e professionnel·le de la nutrition rigoureux·se.

Bref, c’est un cimetière méthodologique.

On est tous d’accord que produire de la nourriture cause des émissions de CO2. Et que produire certains aliments en émet plus que d’autres : une alimentation carnée va avoir une empreinte carbone plus élevée qu’une alimentation végétarienne ou végétalienne. Consommer des produits locaux et de saison permet également de baisser son empreinte.

On est aussi d’accord que les personnes minces vont consommer des quantités de nourriture différentes d’une personne à une autre et qu’elles vont avoir des préférences alimentaires différenciées. Il y a les habitué·es de la salle de sport qui ne jurent que par le poulet poché non-assaisonné, celleux qui qui ne consomment plus de produits d’origine animale, celleux qui mangent souvent, celleux qui se restreignent, celleux qui n’y pensent pas, etc.

Alors pourquoi est-il si difficile de comprendre que les personnes grosses sont dans la même situation ? Derrière leurs calculs se cache le préjugé grossophobe de “si tu es gros·se, c’est parce que tu manges trop”. Ces études sont basées sur le modèle “calories in, calories out” alors que ce dernier est complètement inadapté à notre biologie1 et que l’on sait aujourd’hui que la grosseur est multifactorielle2.

Cette rhétorique se base également sur l’idée que le poids est exclusivement une question de comportements individuels. Si en tant qu’individu on décide de moins manger, alors tout à coup les personnes grosses disparaîtront de la surface de la planète. C’est d’un simplisme à toute épreuve (enfin, à part celle de la science).

De plus, on vient nourrir les préjugés sur les personnes grosses (ignorantes, fainéantes, sans volonté) et l’idée que la grosseur serait un problème de société pressant (menaçant le climat !), tout en renforçant l’invisibilisation des personnes grosses sous-alimentées ou souffrant de TCAs et autres difficultés alimentaires — notamment d’an0rex¡e “atypique” (on notera d’ailleurs que l’AT est sûrement typique, contrairement aux idées reçues34).

Et puis la crise climatique est ce qu’on appelle un “problème épineux” (wicked problem), c’est-à-dire un problème multifactoriel et truffé d’interdépendances, qui ne présente pas une solution simple et linéaire5. Adapter nos comportements individuels est naturellement important, mais il faut surtout repenser des aspects structurels comme nos usages énergétiques, nos modes de consommation et de transport, notre aménagement urbain ou encore notre utilisation des sols et des océans. L’impact sera bien différent.

  1. Pour un résumé : Maintenance Phase (2022) The Trouble with Calories (podcast). ↩︎
  2. Pour un résumé : Gordon (2023) “You Just Need to Lose Weight” And 19 Other Myths About Fat people. Beacon Press (Boston), 224 p., ch. 3. ↩︎
  3. Harrop et al. (2021) Restrictive eating disorders in higher weight persons: A systematic review of atypical anrexia nervsa prevalence and consecutive admission literature. In Int J Eat Disord. 54(8): 1328-1357. ↩︎
  4. Masheb et al. (2021) Atypical Anorexia Nervosa, not so atypical after all: Prevalence, correlates, and clinical severity among United States military Veterans. In Eat Behav. 41: 101496. ↩︎
  5. Incropera (2015) Climate Change: A Wicked Problem: Complexity and Uncertainty at the Intersection of Science, Economics, Politics, and Human Behavior. Cambridge University Press (Cambridge), 378 p. ↩︎

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