Cancer et responsabilité individuelle

Je suis récemment tombé sur une vidéo de la dernière campagne de prévention de l’institut national du cancer qui m’a beaucoup perturbée.

La campagne doit être construite sur quatre vidéos (je n’ai pas vu les autres, merci l’algorithme ?), expliquant à la population que quatre catégories de “comportements” sont à l’origine de près de 50% des cancers : alimentation déséquilibrée, tabagisme, consommation d’alcool et activité physique limitée.

La campagne doit être construite sur quatre vidéos (je n’ai pas vu les autres, merci l’algorithme ?), expliquant à la population que quatre catégories de “comportements” sont à l’origine de près de 50% des cancers : alimentation déséquilibrée, tabagisme, consommation d’alcool et activité physique limitée.

Personnellement, j’ai donc vu celle concernant l’alimentation. Elle s’ouvre sur une assiette de frites qui, doucement, se voit remplacée par une assiette de haricots verts. Puis ce message :

Manger varié et équilibré, c’est un des comportements qui permet d’éviter près de la moitié des cancers. Faites les bons choix dès maintenant, vous vous remercierez plus tard.

Premier point :

L’image utilisée est celle des frites.

Un autre choix aurait été possible. L’équipe en charge de la communication aurait pu, par exemple, utiliser l’image d’un steak ou d’une tranche de jambon — les aliments explicitement nommés sur le site de l’institut.

Mais non, on a choisi les frites, un aliment connecté dans l’imaginaire collectif à la “malbouffe” et, de fait, à la grosseur. Hasard, alors qu’on nous rabâche depuis plusieurs années qu’être gros, c’est se causer son propre cancer ?

S’il semble exister une association entre grosseur et cancer, les études existantes ne montrent pourtant pas un lien de causalité. Il est donc important d’examiner tous les autres facteurs en jeu, notamment l’impact de la grossophobie (que ce soit les difficultés d’accès au soin1, le soin sous-optimal reçu auprès des professionnels de santé2, ou encore le stress engendré par les discriminations3).

Deuxième point :

On nous explique qu’une alimentation est un des comportements qui permettrait (ils ont oublié le subjonctif) de limiter le risque de développer un cancer de près de 50%.

Si on se dit que l’alimentation joue un rôle, la question qui se pose est la suivante : quel est le rôle de l’alimentation VS. celui du tabagisme, de la consommation fréquente d’alcool ou de l’activité physique ? Est-ce qu’on est sur un 12,5% pour chacun ? Ou le tabagisme pèse-t-il plus lourd ? De quels chiffres parle-t-on réellement ?

Et bien sûr, aucune référence scientifique, pas même pas sur la page dédiée du site de l’institut.

Et puis bon, pas une référence citée. La seule note de bas de page présente nous informe que :

Parmi les 346 000 nouveaux cas de cancer diagnostiqués chez les adultes de 30 ans et plus en France en 2015, 142 000 seraient attribuables aux facteurs de risque étudiés, soit 41 % de tous les nouveaux cas de cancer4.

Peut-être que je chipote, mais il y a une différence entre “près de 50%” et “41%”. J’imagine que ce chiffre a été choisi parce que 50% reste mieux en tête mais ce choix me paraît discutable.

Troisième point :

“ Faites les bons choix dès maintenant, vous vous remercierez plus tard.”

Ah, le discours néolibéral qui promeut l’auto-responsabilité ! Si vous adoptez les bons comportements, alors vous ne serez pas malade. Prenez-vous en main et vous serez protégé·es.

Malheureusement, je pense qu’il suffit de regarder autour de vous pour vous rendre compte que ce n’est pas le cas. Combien de personnes qui ont “tout bien fait” développent des cancers ? Votre alimentation parfaite ne compensera pas la pollution, le stress, le surmenage ou encore les facteurs (épi)génétiques.

Et puis cela veut-il dire que si l’on tombe malade, on est responsable de sa maladie ? Et cela veut-il dire qu’on mérite d’être malade ? C’est un langage que l’on voit souvent dirigé contre les personnes diabétiques, notamment les personnes diabétiques et grosses, ignorant encore une fois tous les facteurs systémiques et génétiques qui peuvent mener au développement de cette maladie.

Attention, je ne dis pas qu’une alimentation variée est sans intérêt, pas du tout.

Par contre, à un moment où l’inflation reprend en France et où au moins 16% de la population n’a pas accès à une alimentation suffisante5, où les Restos du Coeur sont obligés de limiter les repas distribués6 — tout en craignant de devoir mettre la clé sous la porte —, où même avant la p@nd¢mie, près de 14,6% de la population vivait sous le seuil de pauvreté7 (et 21% des enfants8), je pense que responsabiliser les personnes sur leur alimentation, c’est faire le choix d’ignorer des facteurs structurels hautement plus pertinents.

  1. Puhl & Brownell (2006) Confronting and Coping with Weight Stigma: An Investigation of Overweight and Obese Adults. In Obesity 14(10):1802-1815. ↩︎
  2. Voir par exemple Gudzune et al. (2013) Physicians build less rapport with obese patients. In Obesity 21(10):2146-2152. ↩︎
  3. Wolrich (2021) Food Isn’t Medicine. Vermillion (Chicago), 304 p. [particulièrement le chapitre 8]. ↩︎
  4. Centre international de recherche sur le cancer (2018) Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine. ↩︎
  5. Bléhaut & Gressier (2023) En forte hausse, la précarité alimentaire s’ajoute à d’autres fragilités. CREDOC. ↩︎
  6. Le Monde (2023) Restos du coeur : le gouvernement promet 15 millions d’euros d’aides supplémentaires à l’association en difficulté financière. ↩︎
  7. INSEE (2023) L’essentiel sur… la pauvreté. ↩︎
  8. INSEE (2021) Niveau de vie et pauvreté des enfants. ↩︎

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