Cancer et responsabilité individuelle (2)

Récemment, je posté un article sur un extrait de la dernière campagne de communication de l’Institut National du Cancer, en vous expliquant pourquoi je la trouve problématique. Cette campagne était basée sur l’idée que 4 comportements (alimentation, activité physique, tabagisme, consommation d’alcool) causent près de 50% des cancers et que vous seriez bien gentils de prendre vos responsabilités individuelles pour ne pas être malades.

Je suis allée fouiller le site parce que j’étais curieuse du poids respectif des 4 facteurs (j’ai appris au passage que le tabagisme représente 20% de ces 41%1) et je suis tombée sur une fiche repère de 2019, dans laquelle l’Institut nous explique :

Plus de 40 % des cancers sont attribuables à des facteurs de risque évitables, avec 16 à 20 % dus à des facteurs nutritionnels englobant l’alimentation, l’activité physique, le statut pondéral et la consommation d’alcool.2

La formulation m’a laissée quelque peu perplexe.

Déjà, “consommation d’alcool” arrive en dernier alors que dans le premier paragraphe du brief, on nous dit que c’est le facteur de risque le plus important à 8%, contre 5,4% pour “alimentation déséquilibrée” (définition ?), 5,4% pour “s*rpoids/ob*sité” (on reviendra là-dessus) et 0,9% pour le manque d’activité physique (oui, vous avez bien lu).

Ensuite, l’activité physique est-elle un facteur nutritionnel ? Et quid du “statut pondéral” (la grosseur, donc) ? Peut-on honnêtement (et donc éthiquement) comparer la consommation d’alcool (ou le tabagisme) au poids ?

Et puis le poids est-il en lui-même un facteur de risque ? Peut-on imaginer d’autres sous-facteurs amenant à une augmentation des risques chez les personnes grosses ? Ou peut-être un mélange des deux ?

Ce qui me perturbe particulièrement, c’est que le papier a pour but de faire l’état des lieux des “changements de comportement et des modes de vie” qui pourraient permettre de faire baisser de 40% les cas de cancers annuels.

Or la grosseur n’est pas un comportement.

On peut décider d’arrêter de consommer du tabac/de la nicotine. Il existe des facteurs structurels et biologiques qui peuvent s’y opposer, mais c’est un changement de comportement que l’on peut mettre en place.

Par contre, l’idée que l’on peut décider du jour au lendemain de ne plus être gros·se est un mythe. Il existe aujourd’hui des dizaines d’études qui montrent que prise et perte de poids sont loin d’être une histoire de “calorie in/calorie out”3456.

Je suis fatiguée de cette grossophobie non-questionnée, de cet appoint avec lequel les chercheur·ses nous disent que si certaines personnes sont grosses, c’est bien parce que 1) elles mangent mal et 2) ne bougent pas leurs fesses. Pas la peine de poser plus de questions. Pas la peine de se pencher sur les facteurs adjacents. Non, c’est parce que vous faites le choix d’être gros·ses et donc, s’il vous arrive quelque chose, c’est de votre faute.

Et je suis aussi fatiguée de lire que c’est nécessairement le gras dans nos corps qui cause tous ces cancers. On ne pose pas la question des biais cognitifs des médecins, de l’accès limité au matériel médical, des abandons de soin par celleux qui ont été trop longtemps violenté·es par un système qui fait de leur corps l’origine de tous les maux.

On ne va pas le nier : avoir une alimentation diversifiée, avec notamment un bon apport de fibres, nous fait du bien. Une activité physique adaptée et régulière aussi. Mais cela ne veut pas dire que cela nous rendrait mince ni que cela nous protègerait de toutes les maladies. Assurons-nous que nous ayons tous accès à une vie digne, à un soin optimal et à une alimentation suffisante avant de montrer du doigts ceux que le système délaisse déjà.

  1. IARC (2018) Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine, p. 3. ↩︎
  2. INC (2019) Nutrition et prévention des cancers (décembre 2019). ↩︎
  3. Gaessert & Angadi (2021) Obesity treatment: Weight loss versus increasing fitness and physical activity for reducing health risks. In iScience 24(10). ↩︎
  4. Evert & Franz (2017) Why Weight Loss Maintenance Is Difficult. In Diabetes Spectrum 30(3):153-156. ↩︎
  5. Fildes et al. (2015) Probability of an Obese Person Attaining Normal Body Weight: Cohort Study Using Electronic Health Records. In American Journal of Public Health 105(9):e54-59. ↩︎
  6. Sumithran et al. (2011) Long-term persistence of hormonal adaptations to weight loss. In NEJM 365(17):1597-1604. ↩︎

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