Paradoxe de l’ob*sité

On parle de “paradoxe de l’ob*sité” lorsqu’une étude conclut que les personnes grosses (en “surpoids” ou “ob*ses”) ont des résultats similaires, voire de meilleurs résultats que leurs co-patient·es minces (par exemple dans le cas d’un infarctus du myocarde ou d’une insuffisance cardiaque congestive)1. Une étude récente a ainsi montré que les personnes subissant une arthroscopie de la hanche semblent par exemple avoir une convalescence aussi bonne que les personnes minces (et sur trois ans, les personnes “ob*ses” ont le meilleur score)2.

Une étude souvent citée lorsqu’on parle du “paradoxe de l’ob*sité” est celle publiée en 2005 par Katherine M. Flegal et collègues. Le but est d’estimer le risque de surm0rt@lité selon les catégories d’IMC (qui, on le sait, n’est pas un indicateur de santé)3. Les chercheur·ses trouvent que la catégorie “surpoids” présente le risque le plus bas. Si le risque augmente avec l’augmentation de l’IMC, l’étude note également un risque important chez les personnes en “sous-poids”. En 2013, Flegal co-publie une seconde étude dont les résultats confirment ceux de 2005, étendant l’effet protecteur aux personnes dans la catégorie ob*sité grade I4.

La raison pour laquelle les résultats de cette étude sont affublés du terme “paradoxe” (ils ont d’ailleurs été attaqués de manière vicieuse, ce que Flegal raconte dans un article de 20215) est simple : il est impensable que des personnes en “surpoids” puissent avoir une surmortalité plus basse que les personnes “normales”. Pourtant, l’étude 2005 a été primée par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), l’agence fédérale américaine en charge de la protection de la santé publique ; Flegal tenait donc quelque chose de solide.

La seule raison pour laquelle on parle de “paradoxe”, c’est parce qu’on a construit la grosseur comme quelque chose de profondément négatif, un facteur de risque et — depuis les années 1990 — comme une maladie. De fait, il devient impossible d’imaginer qu’être gros·se puisse, dans certains cas, avoir un effet protecteur ou, simplement, ne pas avoir d’effet particulier. On se met à fouiller les données à la recherche de l’erreur, du problème de méthodologie, incapable de prendre au sérieux le résultat trouvé.

En 2018, Flegal finit par co-publier un article pour exprimer son point de vue sur l’usage du terme6. Elle y écrit :

Le terme « paradoxe de l’obésité » est une figure de style et non un terme scientifique. (…) Dans la littérature biomédicale, le terme « paradoxe de l’obésité » est principalement utilisé dans le même sens quotidien de quelque chose de surprenant ou de contre-intuitif. Ce terme n’a pas de définition précise et a été utilisé pour décrire de nombreuses observations qui n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est la constatation d’une association entre l’obésité et une issue favorable. (…)

Elle conclut :

Étiqueter des résultats contre-intuitifs comme le « paradoxe de l’obésité » n’apporte aucune valeur ajoutée. Les résultats inattendus ne doivent pas être perçus négativement ; ils peuvent conduire à de nouvelles connaissances, à de meilleurs traitements et à des avancées scientifiques.

Le “paradoxe de l’ob*sité” pose un autre problème : il permet aux chercheurs·ses et praticien·nes de ne pas questionner leurs a priori grossophobes. Après tout, c’est un bug, un blip dans la matrice, on n’a pas besoin de remettre en cause ses croyances. Et cela a des conséquences sur la prise en charge et la santé des personnes concernées.

Par exemple, dans ses recommandations officielles7, la Société Allemande du Diabète (DDG) promeut la perte de poids chez les personnes ayant un diabète type 2 (DT2) “en surpoids”. Pourtant, la revue de littérature suivant cette recommandation note bien que 1) les personnes DT2 ayant un IMC “normal” ont une mortalité supérieure aux personnes ayant un poids plus élevé et 2) les personnes ayant un poids stable tendent à avoir de meilleurs résultats sur le long terme. Vous vous demandez comment ils sont passés de la revue de littérature à la recommandation ? En disant que c’est un “paradoxe” ; circulez, rien à voir ! (Bon, peut-être que leurs financements venant directement de l’industrie pharmaceutique aident aussi, mais c’est un autre sujet).

Se référer inlassablement au concept de “paradoxe de l’ob*sité”, c’est montrer qu’on est incroyablement biaisé contre les personnes grosses. Ce n’est en aucun cas une expression médicale ni scientifique, mais bien le fruit d’une grossophobie systémique et bien ancrée. Il est, comme l’écrit Flegal, vraiment grand temps qu’on arrête de l’utiliser !

  1. Amundson, Djurkovic and Matwiyoff (2010) The obesity paradox. In Crit Care Clin. 26(4):583-96. ↩︎
  2. Suri et al. (2023) Differential Impact of Body Mass Index in Hip Arthroscopy: Obesity Does Not Impact Outcomes. In Ochsner J. 23(1):21-26. ↩︎
  3. Flegal et al. (2005) Excess deaths associated with underweight, overweight, and obesity. In JAMA 293(15):1861–1867. ↩︎
  4. Fegal et al. (2013) Association of All-Cause Mortality With Overweight and Obesity Using Standard Body Mass Index Categories A Systematic Review and Meta-analysis. In JAMA 309(1):71-82. ↩︎
  5. Flegal (2021) The obesity wars and the education of a researcher: A personal account. Progress in Cardiovascular Diseases 67:75-79. ↩︎
  6. Flegal & Ioannidis (2018) The Obesity Paradox: A Misleading Term That Should Be Abandonned. In Obesity 26(4):629-630. ↩︎
  7. Skurk et al. (2022) Empfehlung zur Ernährung. In Diabetologie 17 (Suppl 2):256-290. ↩︎

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