COVID et grosseur

Suivant l’émergence du Covid-19, les articles ont fleuri dans les journaux scientifiques et grand public, nous annonçant en grande pompe que le v-rus se montrait plus agressif chez les patient·es grosses.

Jean-François Delfraissy, alors à la tête du conseil scientifique Covid-19, expliquait par exemple en avril 2020 que les personnes grosses (notamment jeunes) étaient plus à risque1.

Mais maintenant que nous avons un peu de recul, qu’en est-il réellement ? Les données existantes permettent-elles de confirmer ces affirmations ? Et quelles critiques pourrait-on leur adresser ? Je propose de discuter de 3 points principaux :

  • La question de l’interprétation des statistiques
  • L’absence des déterminants de la santé
  • L’impact de la grossophobie médicale

Interprétation des statistiques

Un premier point est celui des données. Prenons par exemple une étude publiée par le CDC aux US, utilisée dans de très nombreux articles de journaux pour montrer que la grosseur est un facteur de risque (hospitalisation et décès)2.

Les données derrière l’article montrent une réalité plus complexe que la conclusion ne laisse entendre3. Ainsi, il n’y a pas de surmortalité dans la catégorie “surpoids” ou “obésité grade I” (voire une moindre mortalité pour la première) face à la catégorie “normale”. Et chez les “grade II” et “grade III”, s’il y a une augmentation du risque, cette augmentation est limitée, et surtout à comparer avec d’autres facteurs comme le sexe (contexte cisnormatif) ou l’âge. Un·e trentenaire a par exemple un risque de d-céder du v-rus 293% supérieur à un·e vingtenaire4.

L’impact des déterminants de la santé

Il faut ensuite noter que les études publiées dans l’urgent ne contrôlaient souvent pas pour des facteurs de risque autre que l’IMC, ignorant de fait de nombreux déterminants de la santé (incluant l’appartenance ethnique, le statut socio-économique ou encore l’accès (ou son absence) au soin)5 qui sont pourtant essentiels à toute analyse — surtout lorsqu’on s’intéresse aux facteurs de risque dans une population marginalisée. Par exemple aux US, on a observé une surmortalité dans la population afro-américaine qui peut être partiellement expliquée par des disparités socio-économiques, une exposition supérieure due à la profession, un accès au soin sous-optimal, biais racistes, etc6.

La grossophobie médicale

Et puis bien sûr, aucune de ces études n’a posé la question du biais qu’est la grossophobie médicale. Par exemple, face au manque de matériel, de nombreux hôpitaux ont décidé de ne pas mettre les patients au-dessus d’un certain IMC sur oxygénation par membrane extracorporelle (ECMO), imaginant un moins bon prognostique. Une étude vient pourtant de montrer qu’il n’y avait pas de corrélation entre survie et IMC chez les patient·es nécessitant une ECMO7.

Cette différentiation de traitement, avec priorisation des patient·es minces (comme ça a pu être le cas pendant la crise du H1N18) doit être prise en compte lorsqu’on essaye de comprendre la surmortalité des personnes les plus grosses.

Tous ces facteurs ont joué un rôle dans la construction de la grosseur comme facteur de risque majeur face au Covid-19. Cependant, des chercheur·ses se sont penché·es sur la qualité des données disponibles. Une revue des méta-analyses existantes, publiée en 2023, conclut :

L’ob*sité a été associée à un risque accru de décès chez les patient·es atteint·es d’une infection par le SARS-COV-2 dans la plupart des revues systématiques avec méta-analyses (RSMA) ; cependant, une évaluation critique a mis en évidence un risque élevé de biais, et la certitude des preuves n’a pas été bien évaluée. La diffusion de RSMA de mauvaise qualité peut limiter l’interprétation des résultats, et nous devrions toujours aspirer à des preuves scientifiques dignes de confiance9.

Mike drop.

La reprise de ces résultats (parfois sans revue par les paires) de mauvaise qualité par les médias a contribué au gonflement d’une rhétorique grossophobe, déjà largement présente dans nos sociétés qui a elle-même sûrement participé à nourrir les biais cognitifs des praticien·nes et des scientifiques. Un cercle vicieux qui a pu (et continue de) mettre en danger la vie de nombre d’entre nous. Après tout, je ne pense pas être la seule à avoir pu entendre des personnes sous-entendre que les personnes grosses n’étaient pas légitimes à recevoir des soins (particulièrement face à la pénurie de matériel médical) et qu’elles devraient donc être dépriorisées lors des triages.

Conclusion

Face à une pandémie mal préparée, la communauté scientifique a souhaité produire — et produire vite. L’intention était bonne : publier le plus de données pour aider aux prises de décision, afin notamment de protéger les populations les plus vulnérables. Mais avec quelles conséquences, notamment pour les patient·es grosses ?

Les personnes grosses se sont vues bombardées de messages culpabilisants et anxiogènes, pendant que la croyance déjà bien implantée que grosseur = maladie ne s’en voyait que renforcée. Tout ça pour que l’on se rende compte qu’on avait peut-être parlé un peu trop vite.

Again.

  1. De Clercq (2020) Ob*sity is major C0√¡D 19 risk factor, says French chief epidemiologist. Reuters. ↩︎
  2. Kompaniyets et al. (2021) Body Mass Index and Risk for Covid-19–Related Hospitalization, Intensive Care Unit Admission, Invasive Mechanical Ventilation, and Death — United States, March–December 2020. In MMWR Morb Mortal Wkly Rep 70:355–361. ↩︎
  3. Campos (2021) Covid and the moral panic over obesity. Lawyers, Guns, Money. ↩︎
  4. Ahmad (2021) Provisional Mortality Data — United States, 2020. In MMWR Morb Mortal Wkly Rep 70:519–522. ↩︎
  5. Park et al. (2015) Relative Contributions of a Set of Health Factors to Selected Health Outcomes. In American Journal of Preventitive Medicine 49(6):961-969. ↩︎
  6. Evelyn (2020) ‘It’s a racial justice issue’: Black Americans are dying in greater numbers from Covid-19. The Guardian. ↩︎
  7. Powell et al. (2023) Body mass index does not impact survival in Covid-19 patients requiring veno-venous extracorporeal membrane oxygenation. In Perfusion 38(6):1174-1181. ↩︎
  8. Sun (2016) Weight and prognosis for influenza A(H1N1)pdm09 infection during the pandemic period between 2009 and 2011: a systematic review of observational studies with meta-analysis. In Infectious Diseases 48(11-12):813-822. ↩︎
  9. Silva et al. (2023) Risk of bias and certainty of evidence on the association between obesity and mortality in patients with SARS-COV-2: An umbrella review of meta-analyses. In Clin Nutr ESPEN 53:13-25. ↩︎

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