Avez-vous déjà lu des articles qui vous expliquent que ce sont tant et tant d’euros qui sont dépensés chaque année à cause de l’ob*sité ou que tant et tant de personnes meurent annuellement du fait de leur poids ?
C’est un trope que l’on retrouve à intervalle régulier et tout particulièrement en ce moment, du fait d’une remontée en puissance des discours médicalisant la grosseur (merci les nouveaux médicaments amaigrissants !).
Mais, à tout hasard, vous-êtes vous déjà demandé d’où ces chiffres pouvaient venir ?
J’aimerais vous proposer un exercice : la prochaine fois que vous voyez un de ces chiffres dans les journaux ou dans une brochure de promotion d’un centre de santé, regardez si une référence vous est donnée, note de bas de page ou de fin. De manière régulière, ces références manquent. On nous propose donc des chiffres “zombies” (comme le dirait Michael Hobbes du podcast Maintenance Phase1), qui semblent increvables même s’ils sont peu ou pas étayés.
Prenons un exemple chez nos ami·es de la Ligue contre l’Ob*sité :
Sur leur page “L’ob*sité : Les 4 vérités” (rien que ça), on nous explique que ce sont chaque année 180 000 personnes que l’ob*sité tue chaque année en France. Des sources, des références pour ce chiffre assez alarmant ? Aucune. Cela ne compte donc pas comme une référence valide, sorry not sorry.
Pire, si on le compare aux chiffres d’autres pays, on se rend compte à quel point il ne fait aucun sens.
Simplifions-nous la vie et prenons une estimation haute aux US, à savoir 350 000 personnes mourant du fait de leur grosseur chaque année. L’estimation de 350 000 vient d’une étude de 20042, remise en question par les travaux de la statisticiennes Katherine Fegal3 qui a estimé qu’on était plutôt proche de 25 000, soit 14 fois moins, une estimation qu’elle maintien dans sa méta-analyse de 20134.
Voici un tableau pour résumer les données :
Population totale | Population ob*se | % population ob*se | Mortalité | |
US | 300 millions | 120 millions | 40% | 350 000 |
France | 68 millions | 8 millions | 12% | 160 000 |
Lorsqu’on se penche sur ces données (certes simplifiées), on se rend compte de quelque chose de troublant. La population totale française représente 20% de la population totale des US et la prévalence de l’ob*sité en France est trois fois inférieure à celles des US. Pourtant, on observe un chiffre absolu (160 000) qui représente près de la moitié des décès aux US. En termes relatif, on aurait une mortalité des personnes grosses 6 fois plus élevée en France.
De quoi hausser les sourcils, non ?
Un autre problème, lorsque nous n’avons pas les références, c’est que nous n’avons pas accès à la méthodologie, pourtant essentielle pour comprendre comment ces chiffres sont produits.
Par exemple, lorsqu’on évalue le coût médical de la grosseur, il est important de savoir quelles maladies sont considérées comme due à la grosseur et donc quels coûts de soin sont attribués directement et/ou indirectement à la grosseur. Et là, d’une étude à une autre, on a des méthodologies complètement différentes… et certaines incluent parfois des pathologies qui laissent perplexe.
Par exemple, certaines études vont facilement mettre sur le dos de la grosseur le fait de développer un cancer de la vésicule biliaire. Or, on sait que les changements de poids soudains, ainsi que les changements rapides d’alimentation tendent à fragiliser la vésicule — et que les personnes grosses sont particulièrement concernées par les changements brutaux d’alimentation et de poids du fait des efforts déployés pour perdre du poids (bonjour les régimes yoyo). Il me paraît de fait assez cavalier d’imputer ces cancers au poids et seulement au poids.
Pire encore, de nombreuses études osent mettre les symptômes dépressifs ou encore l’anxiété dans les pathologies causées par la grosseur. Les auteurs d’une étude de 2023, commanditée par — vous l’aurez deviné — nos ami·es chez Novo Nordisk, écrivent ainsi :
[…] près de 260 000 personnes sont traitées par anti-dépresseurs ou régulateurs de l’humeur à cause de l’obésité […].5*
Les cellules adipeuses dans nos corps nous font-elles développer des dépressions ? Ou est-ce le fait de vivre dans une société qui, toutes les cinq minutes, nous dit que nous ne devrions pas exister, tout du moins pas tel·les que nous sommes ? La question de la grossophobie est bien vite exitée alors qu’elle impacte notre santé physique et mentale.
TL;DR
- Les chiffres concernant la mortalité ou le coût de l’ob*sité sont à prendre avec des pincettes : demandez toujours d’où viennent les données ;
- Les méthodologies utilisées (notamment pour inclure/exclure) des données peuvent complètement changer les résultats — l’interprétation des résultats également ;
- Ces études partent du paradigme selon lequel la grosseur est une pathologie et qu’elle nuit nécessairement à la santé, ce qui est statistiquement faux ;
- Ces études ne prennent jamais en compte la place de la grossophobie dans la prise en charge et la qualité du soin apportées aux personnes grosses ; elles passent donc à côté d’un facteur majeur impactant leur santé.
- Maintenance Phase (2022) Zombie Statistics Spectacular! ↩︎
- Mokdad et al. (2004) Actual causes of deaths in the United States 2000. In JAMA 291(10):1238-1245. ↩︎
- Flegal et al. (2005) Excess deaths associated with underweight, overweight, and obesity. In JAMA 293(15):1861-1867. ↩︎
- Flegal et al. (2013) Association of all-cause mortality with overweight and obesity using standard body mass index categories: a systematic review and meta-analysis. In JAMA 309(1):71-82. ↩︎
- Asteres (2023) Coût de l’ob*sité, p. 17. ↩︎
[5]
[6] Ligue contre l’Ob*sité (n.d.) L’ob*sité : Les 4 vérités.
[7] Asteres (2023) Coût de l’ob*sité, p. 17.
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