Calories in/calories out

Ce post est inspiré par l’épisode The Trouble with Calories du podcast @maintenancephase. Le podcast étant en anglais, je me suis permise de reprendre certains des points principaux pour vous les présenter en français.


Je pense que nous avons tous·tes déjà entendu que la perte de poids, c’est simple : dépenser plus que l’on ne consomme. Le corrolaire est tout aussi simple : pour perdre du poids, il suffit de manger moins. C’est ce que certain·es résument avec la phrase suivante : calories in/calories out.

Ça vous étonne si je vous dis que ce modèle a été remis en question il y a bien longtemps et que la réalité est bien plus complexe ?

Calories

Commençons au début : qu’est-ce qu’une calorie et comment la mesure-t-on ?

Une calorie est une unité d’énergie. Elle se définit comme une quantité d’énergie nécessaire pour élever la température d’un gramme d’eau liquide de 1°C* (et ce à 0 m d’altitude). Cette unité est peut utilisée en dehors de la nutrition, le système international d’unités lui préférant le joule.

Pour mesurer le “pouvoir calorifique”, on utilise une bombe de Berthelot (ou bombe calorimétrique) qui permet d’estimer la chaleur dégagée lors de la combustion de la substance étudiée.

Cette unité a commencé à être utilisée pour penser la nutrition à la fin du 19ème siècle.

Limites

Déjà, on peut discuter d’un point de base : les conditions dans lesquelles la combustion d’une banane a lieu dans un calorimètre sont très différentes de celles que l’on retrouve dans le corps humain, parce que 1) nos corps ne sont pas des machines qui crament tout ce qui y entre et 2) les conditions externes à nos corps varient continuellement.

En d’autres termes, l’énergie dégagée par la banane dans un calorimètre n’est pas nécessairement l’énergie utilisable par votre corps.

Pour continuer notre critique, il faut comprendre que ce qui a été appelé le “modèle du déficit calorique” est basé sur une application maladroite des principes de la thermodynamique**, notamment du principe de conservation de l’énergie :

Au cours d’une transformation quelconque d’un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d’énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail).

Pourquoi l’application au corps humain ne fonctionne pas : parce que ce n’est pas un système fermé, c’est-à-dire un système qui serait isolé de son environnement. Il est assez aisé de comprendre qu’il y a une différence entre un espace conscrit, stérile et contrôlé dans un laboratoire et le corps humain qui interagit continuellement avec des centaines de variables internes et externes (quantité de sommeil, maladie, santé métabolique, activité physique, température, exposition à la pollution, etc.).

Ainsi, on pourrait manger exactement la même chose chaque jour, notre corps utiliserait cette énergie de manière variable.

Un des grands adeptes de l’application du principe de conservation de l’énergie au corps humain a été le médecin Max Wishnofsky. Dans un article de 1958, il avance que chaque livre (environ 500g) de masse adipeuse contient 3 500 kcal et qu’il faudrait donc un déficit énergétique d’environ 3 500 kcal pour perdre 500 g1.

Cette idée (souvent appelée “Règle de Wishnofsky) a été reprise des centaines de fois, que ce soit par les chercheur·ses ou les médecins, faisant par exemple son apparition dans des livres de nutrition du 21ème siècle2.

Pourtant, depuis, des chercheur·ses ont remis cette règle en question, notant par exemple que notre utilisation d’énergie n’est pas constante, que notre corps s’adapte à une diminution de ses apports énergétiques, que notre consommation d’énergie dépend aussi de notre masse musculaire, que notre génétique vient mettre son grain de sel, que nos métabolismes sont impactés par de nombreux facteurs extérieurs, etc3.

Il s’agit aussi de noter que si la règle linéaire de Wishnofsky était vraie, alors il serait possible de faire disparaître toute masse musculaire ou adipeuse de nos corps, nous laissant littéralement la peau sur les os.

Je ne sais pas si vous arriverez à convaincre quelqu’un qui vous hurle “pour perdre du poids, il suffit de moins manger” en lui disant “désolé·e François, je ne suis pas un système fermé”, mais la réalité est la suivante : perdre du poids (ou maintenir une perte de poids, d’ailleurs) n’est absolument pas un phénomène linéaire. De nombreux facteurs sont à prendre en compte, incluant le nombre de régimes que vous avez pu faire dans votre vie (les régimes impactant, entre autre, votre métabolisme4).

J’espère que ces quelques paragraphes ont au moins pu commencer à vous expliquer pourquoi vous avez tant galéré, que ce n’est pas de votre faute, et qu’il est grand tant qu’on arrête de gaslighter les gens en leur disant que c’est juste une question de volonté… ou de thermodynamique !

TL;DR

  • Le modèle “calorie in/calorie out”, selon lequel un déficit calorique est forcément suivi d’une perte de poids, provient d’une application de la première loi de la thermodynamique au corps humain ;
  • Dans les faits, les lois de la thermodynamique ne peuvent pas s’appliquer au corps humain car ce dernier n’est pas un système fermé ;
  • Ce modèle linéaire ignore aussi les nombreux facteurs qui entrent en jeu dans la perte/prise de poids (facteurs environnementaux, génétiques, métaboliques, etc.) ;
  • Nos corps ne sont pas des machines que l’on pourrait modifier à volonté, y compris quand il s’agit de notre poids.

†The Maintenance Phase (2022?) The Trouble with Calories.

*L’unité utilisée en nutrition est le kilo calorie (kcal), à savoir la quantité d’énergie nécessaire pour élever la température d’un litre d’eau liquide de 1°C.

**Pour simplifier à fond, la thermodynamique est une branche de la physique qui se concentre sur la chaleur, la température et la transformation de l’énergie.

  1. Wishnofsky (1958) Caloric Equivalents of Gained or Lost Weight. In The American Journal of Clinical Nutrition 6(5):542-6. ↩︎
  2. Voir par exemple Hill et al. (2006) Obesity: Etiology. In: Shils (ed) Modern Nutrition in Health & Disease (10th ed.) Lippincott Williams & Wilkins, pp. 1013–28. ↩︎
  3. Pour une critique de l’utilisation des principes de la thermodynamique par Wishnofsky, voir par exemple Thomas et al. (2014) Time to Correctly Predict the Amount of Weight Loss with Dieting. In J Acad Nutr Diet. 114(6):857-61. ↩︎
  4. Les études suivant les participant·es de l’émission de téléréalité “The Biggest Loser” montrent par exemple l’impact d’une perte de poids rapide sur le métabolisme, avec un ralentissement sur le long terme. Voir Fothergill et al. (2016) Persistent metabolic adaptation 6 years after « The Biggest Loser » competition. In Obsity 24(8):1612-9. ↩︎

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