En cette glorieuse “journée mondiale de l’obésité”, voici le crossover le plus prévisible de la terre : ♡ @corpscools x @fatnography ♡ pour essayer d’amener de la nuances aux discours alarmistes, pathologisants et déshumanisants dont vous allez être abreuvé·es toute la journée.
C’est aussi, pour nous, l’occasion de faire remarquer qu’on se sent bien solo à subir ces discours ultra violents dont peu de personnes, y compris dans les cercles féministes, ne semblent vouloir prendre la mesure. On a hâte que le traitement qui nous est réservé indigne à la hauteur qu’il nous abîme.
Contexte
Aujourd’hui, nous sommes le 4 mars et c’est la fameuse “Journée Mondiale de l’Obésité”. Si d’apparence certain·es pourraient trouver l’idée judicieuse, laissez-nous vous donner notre tendre avis.
Pour mettre un peu de contexte, cette journée est chapeautée par la World Obesity Federation (niveau international) et soutenue par des entités régionales (comme la European Coalition for People living with Obesity au niveau européen) et nationales (par exemple la Ligue contre l’Obésité au niveau français). Ce n’est pas si simple de démêler comment s’organise tout ça, et il nous faudrait plus qu’un post Instagram pour vous en dire plus sur chacune des organisations participantes. Du coup on a décidé de se focaliser sur deux de ses acteurs français : la Ligue contre l’Obésité et le Collectif National des Associations d’Obèses (CNAO).
Pour mieux comprendre ce qui se joue, partons des deux campagnes d’affichages produites pour l’occasion.
Nous sommes d’accord, d’apparence, le message mis en avant est cool : on parle des violences et de la stigmatisation dont les personnes grosses sont constamment victimes.
Mais si on se penche un peu plus, ce qui ressort, c’est le lexique de la maladie. Pour bien appuyer ce propos, on utilise même le pléonasme : “la maladie de l’obésité”. Histoire que personne n’ait de doute. Et c’est logique puisque l’objectif de ces institutions (et donc de cette journée), c’est “la reconnaissance de l’obésité comme une maladie chronique récidivante au développement épidémique”.
Les limites de la médicalisation
Et là vous nous direz : Mais c’est cool de se battre pour faire reconnaître l’obésité comme une maladie, non ? C’est vrai que ce n’est pas seulement une question de volonté ?
Et bien nous, on pense que non, ce n’est pas cool.
Déjà parce que l’idée que tous les corps gros ayant dépassé un certain IMC sont malades est factuellement fausse. Si certaines personnes grosses sont malades, ce n’est pas le cas de toutes. On estime même que 51% des personnes dites “obèses” sont “métaboliquement normales”. Dans le même temps, 18% des personnes avec un poids dit “normal” ont des troubles métaboliques. Le poids et l’IMC ne sont donc pas de bons indicateurs de santé.1
De plus, dans cette vision, on confond corrélation et causalité. On va dire que la grosseur cause des maladies alors que les données ne permettent que de dire qu’elle est associée à certaines maladies. La nuance est importante, surtout si on prend en compte le fait que les études ignorent presque toujours l’impact de la grossophobie (notamment médicale) sur la santé (soins moins accessibles et de moins bonne qualité du fait des biais des soignant·es , réticence à aller consulter).
De nombreuses études ont également documenté qu’un environnement hostile et l’obligation de développer des stratégies pour y faire face plongeaient dans un état de stress permanent qui finissait par avoir un impact réel sur le corps : c’est ce qu’on appelle la charge allostatique. En gros, le stress entraîne une production de cortisol (hormone du stress) qui déclenche une cascade d’événements adaptatifs dans l’organisme. Mais quand ce stress devient chronique, la sur-stimulation induite entraîne la libération de messagers neuro-hormonaux responsables d’un stockage excessif de graisse au niveau viscéral et d’une augmentation de la résistance à l’insuline. Ces modifications métaboliques peuvent conduire à l’émergence d’un syndrome métabolique, du prédiabète puis du diabète si elles ne sont pas prises en charge.
Alors la question qu’on se pose, c’est : est-ce que le lien de causalité est à faire entre grosseur et mauvaise santé ou entre grossophobie et mauvaise santé ?
Malheureusement, comme on oblige les personnes grosses à voir la grosseur comme une abomination, à vivre dans la honte et à penser que leur poids est seulement une question de volonté, il peut être soulageant pour certaines, lasses de s’imposer des régimes à répétition, d’entendre que leur poids (et par extension leur santé) n’est pas qu’une question de responsabilité individuelle.
Sauf que le soulagement ne devrait pas venir d’une pathologisation systématique et inexacte mais de la prise de conscience que les mécanismes de prise de poids sont infiniment complexes et en grande partie influencés par les gènes (50 à 70%).2
On en profite pour glisser une évidence – pas si évidente visiblement : plus que tout ça, le droit à la dignité ne devrait jamais être conditionné à l’état de santé.
Et puis, si on s’attache aux faits, la médicalisation n’a pas aidé à mieux traiter les personnes grosses. A l’origine, cet effort de pathologisation (observé dès les années 1990) avait pour but de faire disparaître les discriminations et d’améliorer les soins3, mais 30 ans plus tard, la stigmatisation est toujours bien vivante. Selon le projet Implicit Association Test de Harvard, la grossophobie a même augmenté alors que d’autres formes de discrimination ont reculé.4
Plus que ça, aujourd’hui la santé est presque TOUJOURS le prétexte à la violence.
Un discours paradoxal… et dangereux
Le résultat de tout ça, ce sont des discours parfaitement paradoxaux.
Ces institutions appellent à lutter contre la stigmatisation des personnes grosses (dans une optique de soi-disant santé publique) mais produisent constamment un discours qui invalide leur existence et produit de la stigmatisation. Personne (et surtout pas elles) ne semble mesurer la violence du besoin d’afficher partout des chiffres alarmistes et non sourcés (pour la plupart). (On vous épargne les détails, mais c’est une communication à base de « 7% et 41% de certains cancers sont imputables au surpoids et à l’obésité”).
Cette approche du poids et de la santé n’a pas fait moins de gros·ses, comme ils l’espéraient – et tant mieux, vous l’aurez compris, c’est un objectif de merde. Mais plus que ça, elle n’a pas amélioré la santé des premier·es concerné·es. De fait, le paradigme suivant nous semble plus intéressant : faire gagner en (santé) plutôt que de lutter contre (le poids). Pour ça, il est primordial de prendre conscience que les conditions et l’hygiène de vie sont des déterminants de notre santé bien plus importants. Par exemple, des études ont montré que la condition physique et, dans une moindre mesure, l’activité physique, atténuent toute relation entre la grosseur et la mortalité toutes causes confondues.5
Mais au fond, est-ce que cette approche plus juste (et qui a bien plus fait ses preuves) est vraiment dans leur intérêt, quand on voit qui finance tout ça ?
Un petit tour sur le site de Transparence Santé ou sur la page des partenaires vous apprendra que les principaux soutiens financiers de ces structures et initiatives sont des laboratoires pharmaceutiques : Lilly, Novo, Appolo endosurgery…
Et qu’ont-ils en commun ? Le fait de vendre des “solutions” à “l’obésité”.
Insister sur l’idée que “l’obésité” serait une maladie qui ne se gère pas uniquement avec un régime et du sport vient légitimer l’idée que des traitements chirurgicaux et/ou médicamenteux sont nécessaires – et qu’il faudrait les rembourser. De manière pernicieuse, ils cooptent nos discours militants puis les instrumentalisent pour en faire des arguments marketing : l’obésité est une maladie chronique et récidivante, ce n’est pas de la faute des gros·ses, achetez nos solutions.
Ces options ont des résultats mitigés et sont parfois accompagnées d’effets secondaires graves – qui rappellent certains des nombreux scandales sanitaires liés à la perte de poids. Peu importe, ça leur rapporte gros.
Pour finir
Alors aux gros·ses qui nous lisent : on espère qu’avoir en tête qui construit ces discours violents vous aidera à prendre conscience que personne ne mérite d’être traité·e ainsi. Vous n’êtes pas une épidémie à enrayer.
Aux autres : Votre passivité (même sans mauvaises intentions) face à la manière dont on est traité consolide un système qui affirme que tout vaut mieux que la grosseur. Même mourir.
- Esser et al. (2009) Sujets « métaboliquement sains », bien qu’obèses. Première partie: diagnostic, physiopathologie et prévalence. Obes 4, 56–65 (2009). ↩︎
- Voir par exemple Elks et al. (2012) Variability in the heritability of body mass index: a systematic review and meta-regression. Front Endocrinol. 28(3):29. ↩︎
- Oliver (2006) Fat Politics. Oxford University Press (Oxford), 240 p. ↩︎
- Charlesworth & Banaji (2019) Patterns of Implicit and Explicit Attitudes: I. Long-Term Change and Stability From 2007 to 2016. Psychological Science, 30(2), 174-192. ↩︎
- Voir par exemple Gaesser & Angadi (2021) Obesity treatment: Weight loss versus increasing fitness and physical activity for reducing health risks. iScience. 24(10):102995. ↩︎
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