J’ai récemment pris le train et avant de monter à bord, je me suis arrêtée dans un kiosk pour voir les nouvelles sorties littéraires et les magazines. J’en suis ressortie avec Society, qui avait une une sur les opposants à Poutine et Navalny (j’aime les sujets glauques, oui oui).
Une fois dans le train — et après avoir lu un résumé fascinant des méthodes d’assassinat du KGB — je suis tombée sur un article intitulé “L’aile ou la seringue ?” et dont l’accroche lit :
Perte de poids sans effort, rapide et spectaculaire, amélioration du diabète, le tout grâce à une petite injection indolore par semaine : voilà ce que propose l’Ozempic, star d’un nouveau type de médicament révolutionnaire, le sémaglutide, qui a envahi Hollywood, puis l’Amérique du Nord tout entière, et s’apprête désormais à conquérir l’Europe. À quel prix ? Nous avons mené l’enquête.1
Déjà, cette accroche, je la trouve problématique. On me dira sûrement que c’est pour attirer le·a lecteur·ice, que c’est normal si c’est un peu dramatique, c’est Society, pas Nature — bref, détends toi !
Certes, mais on commence déjà avec l’utilisation du nom commercial “Ozempic” accolé à “perte de poids”, à laquelle on ajoute “amélioration du diabète” comme une pensée annexe alors que c’est bien pour la gestion du diabète type 2 (DT2) que cette molécule a été développée.
Bref, on continue tranquillement à nourrir l’idée selon laquelle l’Ozempic sert à perdre du poids alors que NON, l’ANSM et l’HAS sont catégoriques, c’est un produit réservé aux patient·es diabétiques.
Le sémaglutide : une molécule miracle ?
Ensuite, l’accroche reprend l’élément de langage qui veut que l’Ozempic serait un “médicament miracle”, une “révolution” pour perdre du poids. Ce n’est absolument pas la première fois que ces mots ont pu être utilisés pour décrire une méthode de perte de poids. On a pu entendre des propos similaires autour du Redux (un cousin du… Médiator) qui faisait la une du Time en 19962. Nombre des médicaments qui ont pu être vendus de la sorte ont par la suite été retirés du marché, après avoir causé des problèmes de santé graves aux patient·es cherchant à perdre du poids3.
Certaines tournures de phrase sont trompeuses et, selon moi, montre à quel point l’autrice connaît peu ce produit. On lit par exemple :
C’est simple : en Amérique, l’Ozempic est partout, incontournable. En mars 2023, plus de 15% des Américains s’en étaient déjà faire prescrire, selon un sondage réalisé par la plateforme de service en santé Tebra.
Je ne sais pas vous, mais quand je lis ça, ça me donne l’impression que 15% de la population américaine prend cette molécule pour perdre du poids. Or ces 15% comprennent des personnes diabétiques qui prennent ce médicament dans le cadre de leur prise en charge médicamenteuse.
Je chipote, je chipote, mais encore une fois, il y a une invisibilisation des personnes diabétiques qui ont, je le répète, besoin de ce médicament pour traiter leur condition et qui souvent ont des difficultés à se le procurer.
Le passage où il est fait mention des personnes diabétiques, c’est pour rappeler qu’elles sont — avec les personnes grosses — un problème :
En clair, l’Ozempic et ses dérivés offrent une solution clé en main à deux des pires maux du siècle : le diabète — 537 millions de personnes concernées — et l’ob*sité — qui touche plus d’un milliard de personnes dans le monde, selon l’OMS. Et tout ça grâce à une petite injection indolore par semaine.
Sympa non ?
Minimiser les effets secondaires
Pour une “petite injection indolore”, les effets secondaires sont quand même notoires : secondaires sont quand même notoires : problèmes gastro-intestinaux récurrents, nausées, cessation de la sensation de faim… L’autrice elle-même fait mention d’une étude qui avait noté “un risque de pancréatite multiplié par neuf et d’autres troubles gastro-intestinaux sévères, tandis qu’une autre évoque un risque potentiel de cancer de la thyroïde après plusieurs années de traitement.”
Mais, nous explique l’autrice, sans preuve aucune, “rien à voir avec le Médiator.” Nous voilà donc rassuré·es !
Sans rire, il a fallu combien d’années pour que le scandale du Médiator éclate ? Combien d’obstacles contre les médecins tirant sur la sonnette d’alarme ? Combien de procès pour montrer l’implication des Laboratoires Servier ?
L’article se termine tout de même sur un point important : cette molécule ne fonctionne que tant que vous le prenez. Arrêtez le “traitement” et vous reprenez tout le poids que vous avez pu perdre (très rapidement). Ce qu’elle omet : une étude montre que statistiquement, la reprise de poids se fait même pendant la prise, une fois la première année passée4.
Les patient·es sont donc amené·es à subir un effet yoyo. Or, on sait que cet effet yoyo est mauvais pour la santé56. Même dans le cadre de la prise en charge du DT2, des études ont montré qu’un poids stable — même si plus élevé — est associé à une meilleure gestion de la maladie78. [7][8]
Industrie 1 – Patient·es 0
Une critique trop timide
Je pense que l’autrice s’est voulue critique, en ajoutant des paragraphes sur les scandales sanitaires passés, les profits projetés énormes de Novo Nordisk ou encore sur les effets temporaires du médicament.
Pourtant, l’article est truffé d’expressions grossophobes, rappelant que la grosseur est une maladie que l’on se doit de combattre à tout prix, quitte à pousser des traitements aux effets secondaires parfois graves, et dont l’impact sur la perte de poids n’est que transitoire. Les citations de médecins qui parlent d’une “révolution” ne font qu’appuyer la notion qu’on aurait enfin trouvé une solution à l’épidémie qu’est l’ob*sité. On se projette, on se dit que non, ce ne sera pas comme l’Isoméride, le Fen-Phen ou encore le Médiator. Cette fois, ce sera la bonne.
Le message général ? Ouf, on va enfin pouvoir faire disparaître les gros·ses !
TL;DR
- Les média participent à la propagation du discours (tout droit sorti de l’industrie) faisant de nouveaux médicaments amaigrissants un “miracle” qui aiderait à combattre une soi-disant “épidémie d’ob*sité” ;
- Ils tendent à utiliser le nom commercial Ozempic — médicament pour le DT2 — au lieu de Wegovy — pour la perte de poids —, contribuant à l’aggravation des problèmes d’approvisionnement des patient·es DT2 ;
- Ils ne prennent pas en compte le contexte social et médical qu’est celui de la grossophobie, sans lequel il est impossible d’aborder de manière critique l’engouement pour ces nouvelles molécules ;
- Ils participent de fait à la médicalisation du poids et à la glamourisation de traitements invasifs malgré l’existence de données montrant les nombreuses limites et dangers de ces “traitements”.
- Lallement (2024) L’aile ou la seringue ? Society. ↩︎
- Voir les trois articles sur le scandale du Fen-Phen : partie 1, partie 2 et partie 3. ↩︎
- Voir le post sur la pharmacologie de la grosseur. ↩︎
- Rubino et al. (2021) Effect of Continued Weekly Subcutaneous Semaglutide vs Placebo on Weight Loss Maintenance in Adults With Overweight or Obesity: The STEP 4 Randomized Clinical Trial. JAMA. 325(14):1414–1425. ↩︎
- Aphramor (2010) Validity of claims made in weight management research: a narrative review of dietetic articles. In Nutrition Journal 9(1):30. ↩︎
- Zou et al. (2019) Body-Weight Fluctuation Was Associated With Increased Risk for Cardiovascular Disease, All-Cause and Cardiovascular Mortality: A Systematic Review and Meta-Analysis. In Frontiers in Endocrinology 19:728. ↩︎
- Bangalore et al. (2018) Body Weight Variability and Cardiovascular Outcomes in Patients With Type 2 Diabetes Mellitus. In Circulation 11(11):e004724. ↩︎
- Yeboah et al. (2019) Body Mass Index, Change in Weight, Body Weight Variability and Outcomes in Type 2 Diabetes Mellitus (from the ACCORD Trial). In The American Journal of Cardiology 123(4):576-581. ↩︎
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