Régimes yoyo et santé

Perdez du poids et tout ira mieux.

Combien d’entre nous avons entendu cela de la part d’un·e professionnel·le de santé, d’un proche ou même d’un·e parfait·e inconnu·e ?

Nous vivons dans une société qui fait de la minceur un marqueur de bonne santé, de statut social et de valeur morale. Être mince, c’est avoir le contrôle sur son corps, sur ses désirs, sur ses pulsions1. Par contraste, être gros·se, c’est être malade, avoir peu de volonté et un contrôle de soi déficient2.

Dans un tel contexte, les personnes qui commencent à l’éloigner de la norme (que ce soit en ayant un IMC supérieur à 25 ou en n’ayant pas une morphologie longiligne) sont rappelées à l’ordre, humiliées, menacées et ce “pour leur bien”. On leur prescrit des régimes (ou plus récemment des “rééquilibrages alimentaires”), des chirurgies, des médicaments. Tout est bon pour faire baisser les chiffres sur la balance.

Pour une majorité de personnes, la perte de poids est suivie, quelques mois ou quelques années plus tard, par un regain de poids parfois égal, parfois supérieur au poids perdu3. Et contrairement à ce qui est souvent dit, ce n’est pas une question de “manque de volonté”, de “laisser aller” : il s’agit d’un mécanisme biologique complexe, développé au cours de notre évolution et qui nous permet de survivre en temps de famine.

Cependant, notre société continue de pousser la minceur comme idéal, ce qui nous amène à enchaîner les régimes, essayant toute une panoplie au cours de notre vie et finissant avec un effet “yoyo” de fluctuation de poids cyclique.

Mais est-ce que vous vous êtes déjà posé la question de l’impact sur la santé de ces fluctuations ?

Rares sont les professionel·les de santé et les chercheur·ses qui prennent ce facteur en compte. Il existe néanmoins de la littérature scientifique sur ce phénomène, une littérature résumée par O’Hara et Taylor dans un article de 20184.

Les fluctuations cycliques de poids sont associées à des problème de santé cardiovasculaire, un cholestérol plus élevé, la résistance à l’insuline, l’inflammation chronique, ou encore des soucis de densité osseuse. On trouve dans la liste certaines maladies qui sont, à tort, attribuées à la grosseur alors qu’elles pourraient être au moins partiellement liées au stress que notre corps subit lorsque nous enchaînons les régimes (encore une fois, corrélation ≠ causalité)5. Et on ne parle pas seulement de soucis de santé transitoires, qui se résorbent à partir du moment où vous reprenez une alimentation plus douce.

Vous trouverez ci-dessous le tableau traduit de O’Hara et Taylor. Je peux imaginer qu’il peut être assez difficile à absorber, mais aussi émotionnellement lourd à lire, donc ne vous forcez pas à le lire.

Impacts sur la santéRéférences
Augmentation de la mortalité toutes causes confonduesBlair, Shaten, Brownell, Collins, and Lissner (1993); Bosomworth (2012); Diaz, Mainous, and Everett (2005); Hamm, Shekelle, and Stamler (1989); Lissner et al. (1991); Nguyen, Center, Eisman, and Nguyen (2007); Rzehak et al. (2007)
Augmentation de la mortalité liée à maladie cardiovasculaire (MCV)Diaz et al. (2005); Hamm et al. (1989); Lissner et al. (1991); Montani, Viecelli, Prévot, and Dulloo (2006); Rzehak et al. (2007)
Augmentation de la mortalité liée à maladie coronarienne (MC)Lissner et al. (1991)
Augmentation de la morbidité liée à MCLissner et al. (1991)
Augmentation de l’infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux et de la morbidité due au diabèteFrench et al. (1997); Montani et al. (2006); Vergnaud et al. (2008)
Diminution des taux de lipoprotéines de haute densitéOlson et al. (2000)
Augmentation des triglycéridesKajioka, Tsuzuku, Shimokata, and Sato (2002)
Augmentation de la tension artérielleGuagnano et al. (2000); Kajioka et al. (2002)
Fluctuation des taux sériques de cholestérol, de triglycérides, de glucose, d’insuline et de glucagon, qui contribuent aux processus métaboliques et aux maladies cardiovasculairesMontani et al. (2006)
Augmentation de l’inflammation chroniqueStrohacker and McFarlin (2010)
Diminution de la triiodothyronine (T3) sérique, de la thyroxine totale (T4) sérique, et dépense énergétique au reposKajioka et al. (2002)
Diminution du flux sanguin myocardique au repos et dépendant de l’endothélium, HbA1c plus élevé, diminution de l’adiponectine, augmentation de la protéine C-réactive et diminution de la longueur des télomèresGaesser (2010)
Suppression de la fonction immunitaire, en particulier de la cytotoxicité des cellules tueuses naturelles cytotoxicitéShade et al. (2004)
Taux plus élevés de carcinome rénal, de cancer de l’endomètre, de cancer colorectal et de cancer lymphohématopoïétiqueGaesser (2010)
Taux plus élevé de calculs biliairesSyngal et al. (1999); Tsai, Leitzmann, Willett, and Giovannucci (2006)
Libération des POP stockés dans les cellules adipeusesLim, Son, Park, Jacobs, and Lee (2010)
Augmentation des taux de MCV associées aux POPLim et al. (2010)
Augmentation de la résistance à l’insuline, du syndrome métabolique et du DT2 associés aux POPAiraksinen et al. (2011); Ha, Lee, and Jacobs (2007); D.-H. Lee, Lee, Porta, Steffes, and Jacobs (2007)
Diminution de la densité minérale osseuse dans la partie inférieure de la colonne vertébrale et le radius distalFogelholm et al. (1997)
Diminution de la densité minérale osseuse chez les femmes ménopauséesVillalon et al. (2011)
Risque accru de fracture de la hanche chez les femmesFrench et al. (1997)
Risque accru de fracture de l’avant-bras chez les hommesSogaard, Meyer, Tonstad, Haheim, and Holme (2008)
Chez les rats, perturbation de l’équilibre des acides gras du corps entierSea, Fong, Huang, and Chen (2000)
Chez les souris, diminution de la tolérance systémique au glucose, altération de la sensibilité à l’insuline du tissu adipeux et réponse immunitaire adaptative exagérée dans le tissu adipeux.Anderson, Gutierrez, Kennedy, and Hasty (2013)
Pas d’association de mortalitéField, Malspeis, and Willett (2009)
Relation entre fluctuations de poids et divers impacts sur la santé
Source : O’Hara & Taylor (2018)

TL;DR

  • Les personnes grosses se voient conseiller la perte de poids, notamment pour protéger leur santé ;
  • Or, de nombreuses études montrent un lien entre fluctuations de poids cycliques (effet yoyo) et problèmes de santé ;
  • Certains de ces problèmes de santé sont, à tort, attribués entièrement à la grosseur, alors que les efforts nombreux et répétés pour perdre du poids peuvent aussi contribuer à leur apparition ;
  • Conserver une approche pondéro-centrée amène donc à tourner en rond, rendant difficiles les gains de santé pour les personnes grosses. Il est temps de repenser le paradigme dans son intégralité6.
  1. Strings (2019) Fearing the Black Body. ↩︎
  2. Voir par exemple Gordon (2020) What We Don’t Talk About When We Talk About Fat. ↩︎
  3. Voir par exemple Fildes et al. (2015) Probability of an Obese Person Attaining Normal Body Weight: Cohort Study Using Electronic Health Records. In Am J Public Health 105(9):e54-59. ↩︎
  4. O’Hara and Taylor (2018) What’s Wrong With the ‘War on Obesity?’ A Narrative Review of the Weight-Centered Health Paradigm and Development of the 3C Framework to Build Critical Competency for a Paradigm Shift. In Sage Open 8(2). ↩︎
  5. Voir le post “Corrélation ≠ Causalité” (16 avril 2024). ↩︎
  6. Arsenault et al. (2024) Adiposity, type 2 diabetes and atherosclerotic cardiovascular disease risk: Use and abuse of the body mass index. In Atherosclerosis: 117546. ↩︎

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