Penser le coût de l’ob*sité

Il y a quelques temps, je vous avais déjà fait un post sur la nécessité d’adopter un regard critique sur les chiffres de l’ob*sité, notamment parce que ces chiffres ne disent rien sans la méthodologie qui a servi à les produire.1 [1] Et nous ne pouvons pas nous arrêter à la méthodologie, car d’autres facteurs entrent en jeu.

L’un de ces facteurs est le prix des traitements pour les maladies qui sont associés à la grosseur. Aujourd’hui, je vous propose de nous pencher sur le cas de médicaments utilisées pour traiter le diabète type 1 et type 2 (respectivement DT1 et DT2), à savoir l’insuline, les inhibiteurs de sodium/glucose cotransporteur 2 (ISGLT2) et les antagonistes de GLP-1 (AGLP1) (à vos souhaits), dont les coûts de production ont été récemment calculés par une équipe de chercheur·ses de l’université de Yale.2

Note

Je prends cette exemple parce qu’on entend toujours crier que l’ob*sité cause le diabète et qu’on retrouve constamment les coûts liés au traitement du diabète (notamment du DT2) dans les calculs du coût de l’ob*sité.

Qu’on soit bien d’accord, cette relation de causalité est fausse.3

De nombreuses personnes grosses ne développeront jamais de diabète et des personnes minces en souffrent. Le diabète est une maladie multifactorielle, avec une composante génétique importante.4

Et contrairement à ce que beaucoup de médecins disent, ce n’est pas votre faute si vous êtes malades !

Estimation des coûts de production

Revenons maintenant à nos moutons.

L’étude utilise une analyse basée sur les coûts pour calculer les prix qui couvriraient les coûts de production et de distribution des médicaments contre le diabète tout en garantissant leur accessibilité et leur soutenabilité.

En tenant compte de divers éléments tels que les dépenses de fabrication, les coûts de recherche et de développement et des marges bénéficiaires raisonnables, les chercheurs visent à obtenir des prix équitables à la fois pour les patients et les sociétés pharmaceutiques.

Dans leurs travaux, les chercheur·ses trouvent que les médicaments étudiés ont souvent un prix très élevé (notamment aux États-Unis), bien au-dessus du prix basé sur les coûts qui, rappelons-le, permettrait toujours une marge de profit, nécessaire notamment pour pouvoir réinvestir dans la recherche et le développement.

Ainsi, pour le sémaglutide (nom commercial : Ozempic/Wegovy), le coût de production pour une dose moyenne de 0.77 mg/semaine est estimé entre 0,89 et 4,73$, alors que les prix observés vont de 38,21 à 353,74$.5

Vous trouverez ci-dessous le tableau 1 de l’étude, résumant les résultats de l’étude. Pour l’insuline, j’ai choisi un exemple mais je vous invite à jeter un oeil aux autres types d’insuline si cela vous intéresse.

MédicamentPrix basé sur les coûtsPrix les plus bas du marché
Insuline NPH
Fiole2.40-5.981.93-198.15
Cartouche3.02-9.1710.71-30.70
Stylo prérempli4.71-29.489.37-251.40
ISGLT2
Canagliflozin (200 mg/jour)25.00-46.7917.76-364.60
Dapagliflozin (10 mg/jour)1.30-2.323.85-526.80
Empagliflozin (17.5 mg/jour)1.88-3.456.08-383.04
AGLP1
Dulaglutide (1.12 mg/semaine)7.05-17.4022.20-227.25
Exenatide (7.5 μg x2/jour)0.75-4.4658.75-577.66
Liraglutide (1.5 mg/jour)21.56-50.3278.54-851.40
Semaglutide (injectable, 0.77 mg/jour)0.89-4.7338.21-353.74
Semaglutide (oral, 10.5 mg/jour)38.62-72.4971.15-643.04
Tableau 1 : Estimations des prix basées sur les coûts soutenables, par mois, en US$.
Source : Barber et al. (2024)

Le poids des profits dans le calcul du « coût de l’ob*sité »

Le papier montre bien que les prix fixés par les industriels peuvent être complètement lunaires, par rapport aux coûts de production. Oui, les auteur·ices notent bien que cette étude a des limites et que leurs estimations ne sont pas à 100% fiables (après tout, beaucoup de coûts doivent être estimés), mais elles donnent un ordre de grandeur dans les profits réalisés, au détriment de la santé de millions de patient·es.

Ainsi, les auteur·ices notent :

On estime que seule la moitié des 63 millions de personnes atteintes de DT1 ou de DT2 qui ont besoin d’insuline dans le monde peuvent avoir accès à ce médicament. Des enquêtes ont fait état de taux élevés de rationnement de l’insuline, même dans les pays à revenu élevé, notamment pour des raisons de prix.

Bien sûr, la situation est moins difficile en France. Les coûts y sont relativement médians, tandis que l’ALD permet une couverture à 100% des coûts médicaux, assurant de fait un meilleur traitement de nos patient·es. Cela veut aussi dire qu’une partie des coûts liés à une mauvaise prise en charge peut aussi être évitée.

Ce qui n’empêche que les industriels se font tout de même une belle marge. Si on prend le sémaglutide injectable, on voit par exemple un prix 25 fois plus élevé que le prix soutenable calculé par les chercheur·ses.

Graphique 1 : Prix le plus bas du sémaglutide par pays, avec estimatimation du prix soutenable basé sur les coûts.
Source : Barber et al. (2024)

Au-delà d’aspects éthiques (après tout, ne pas avoir accès à un traitement peut conduire au décès prématuré des patient·es), nous voyons avec cette étude qu’une partie des “coûts de l’ob*sité” vient en réalité de la recherche de profit des industriels qui nous procurent nos traitements.

Pourtant, jamais on n’entendra un·e économiste ou un·e consultant·e qui produit une estimation de ces coûts parler des prix mirobolants pratiqués par l’industrie.6 Non, la faute est toujours aux gros·ses qui n’ont pas su dire non au chocolat.

TL;DR

  • De nombreuses estimations du “coût de l’ob*sité” ont pu être produites, en France et ailleurs ;
  • On nous y met toujours les coûts liés au traitement de certaines maladies injustement imputées à la grosseur, comme le diabète, les problèmes cardiovasculaires ou encore certains cancers ;
  • En dehors du fait que leurs méthodologies sont questionnables [1], il convient aussi de noter qu’une partie de ces coûts vient des prix exorbitants pratiqués par l’industrie pharmaceutique, sur lesquels les patient·es n’ont absolument aucun contrôle ;
  • Il serait donc de bon ton d’arrêter de sortir des chiffres artificiellement gonflés par une industrie capitaliste gourmande en profit et d’en faire la seule responsabilité des personnes gros·ses.
  1. Voir l’article “Les chiffres de l’ob*sité” (2 novembre 2023). ↩︎
  2. Barber et al. (2024) Estimated Sustainable Cost-Based Prices for Diabetes Medicines. In JAMA Netw Open 7(3):e243474. ↩︎
  3. Voir le post “Corrélation ≠ causalité” (16 avril 2024). ↩︎
  4. Suzuki et al. (2024) Genetic drivers of heterogeneity in type 2 diabetes pathophysiology. In Nature 627:347-357. ↩︎
  5. L’étude prend en compte les coûts pour l’Ozempic, puisqu’elle se concentre sur le prix des médicaments pour le diabète. Pour le Wegovy, bien qu’il s’agisse de la même molécule et du même stylo (à dosage plus élevé), on a des prix bien plus salés (1400$ aux États-Unis, soit plus de trois fois le prix de la version pour le diabète). Pour une estimation du coût de production des AGLP1, voir Levi et al. (2023) Estimated minimum prices and lowest available national prices for antiob*sity medications: Improving affordability and access to treatment. In Ob*sity 31(5):1270-79. ↩︎
  6. Pour une discussion de la montée fulgurante du prix de l’insuline ces dernières 20 années, voir par exemple Inskeep et Aubrey (2022) Insulin costs increased 600% over the last 20 years. States aim to curb the price. NPR. ↩︎

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