Sémaglutide et perte de poids : 4 ans de maintien ?

Le 12 avril 2024, une nouvelle étude a été acceptée par le journal scientifique Nature.1 J’y ai jeté un œil et ai été surprise des résultats. Puis j’ai lu la newsletter de Ragen Chastain “Weight and Healthcare” qui la décortique et je me suis dit qu’il fallait absolument que je vous partage ses remarques, surtout que c’est un article qui va sûrement faire grand bruit dans les jours ou semaines à venir.

Pour cause, son résumé se conclut ainsi :

L’étude SELECT montre, après 208 semaines, que le sémaglutide a entraîné une perte de poids cliniquement significative et des améliorations des mesures anthropométriques par rapport au placebo. La perte de poids a été maintenue pendant 4 ans.

Cette étude fait partie de la série d’études SELECT (effets du sémaglutide sur les maladies cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux chez les patients en s*rpoids ou ob*ses).2

Son échantillon est constitué en majorité d’hommes (72,5%, contexte cisnormatif) blancs, avec un âge moyen de 61,6 ans (écart-type 8,9), sans diabète, avec un IMC de 33 et qui ont vécu un événement cardiovasculaire par le passé.

La première étude de cette série avait fait grand bruit, annonçant une baisse du risque d’événement cardiovasculaire de 20%.3 Dans les faits, elle montrait une baisse absolue de 1,5% et ce pour une population très particulière.4

La promesse : 10,2% de perte de poids sur 4 ans

L’étude que nous décortiquons aujourd’hui qui nous promet que les participant·es ont maintenu leur perte de poids sur 4 ans — quelque chose qui tient du semi miracle quand on sait à quel point la perte de poids est difficile sur le moyen à long terme.

Le graphique central de l’étude est le suivant :

Graphe 1 : Perte de poids sur 4 ans. En bleu les participant·es prenant du sémaglutide (2,4mg) et en gris les participant·es sous placebo.
Source : Ryan et al. (2024).

On voit effectivement une chute rapide du poids des participant·es (axe vertical) avec une perte moyenne de 10%, une stabilisation autour de 65 semaines (ce qu’on observe aussi dans les études STEP5) et un poids qui reste stable sur 208 semaines, soit 4 ans.

Quand j’ai vu le tableau pour la première fois, je vous l’avoue, j’étais stupéfaite. Je ne m’attendais pas à de tels résultats, surtout que les études STEP tendent à montrer une reprise de poids après 2 ans, même en continuant le traitement.

Une promesse fragile ?

Sauf que je n’avais pas regardé les détails.

Graphe 2 : détail du graphe 1 montrant l’évolution du nombre de participant·es. En vert, les participant·es prenant du sémaglutide (2,4mg).
Source : Ryan et al. (2024).

Vous voyez la ligne surlignée ?

Il s’agit du nombre de participant·es qui prennent le médicament (la ligne du dessous permet la comparaison avec les personnes sous placebo). L’étude commence à semaine 0 avec 8 803 participant·es et se termine à semaine 208 avec 921 participant·es, soit une perte de participant·es de 90%.

Revenons à la conclusion de l’article :

La perte de poids a été maintenue pendant 4 ans.

Excusez-moi, mais va falloir élaborer un petit peu. La perte de poids a été maintenue par 10% de l’échantillon, les autres 90% ayant quitté l’étude. Mais pourquoi ont-iels quitté l’étude : effets secondaires ? Difficultés à poursuivre le traitement ? Reprise de poids ?

Ce sont des éléments essentiels à la compréhension des données présentées et leurs limites, surtout quand on sait que les participant·es aux essais cliniques ont un taux d’abandon beaucoup plus faible que les patient·es dans la vie réelle, même lorsque ces dernier·es utilisent des doses plus basses que celle utilisée dans l’étude (2,4 mg).6

Perte de poids type

Par ailleurs, si 10% de perte de poids est la moyenne observée, il est intéressant de regarder les détails (résultats à 102 semaines7) :

% perte de poids% participant·es
≥ 5%67,8%
≥ 10%44,2%
≥ 15%22,9%
≥ 20%11%
≥ 25%4,9%
Tableau 1 : perte de poids observée.
Source : Ryan et al. (2024).

Pour dire les choses simplement, 1 une personne sur 3 a perdu moins de 5% de son poids et 55,8% ont perdu moins de 10%. Alors attention aux articles de journaux qui vous parlent de personnes qui ont perdu 15-20% de leur poids : elles sont minoritaires, même dans un contexte clinique.

Il y a d’autres choses à dire sur cette étude, incluant des discussions sur la méthodologie et l’échantillonnage.

On pourra aussi noter la magnifique section “intérêts concurrents” où l’on peut voir que les auteur·ices ont des liens multiples avec l’industrie pharmaceutique (Ragen Chastain note un total de US$ 11 millions minimum pour les seuls financements de Novo Nordisk). Ça ne s’arrête d’ailleurs pas là, puisque les quatre pair·es qui ont fait la relecture ont aussi des liens financiers avec le géant pharmaceutique… Mais ça, c’est pour une autre fois !

Bref, j’espère que ces quelques paragraphes vous permettront de rester ancrer lorsqu’une nouvelle vague d’articles élogieux viendra submerger nos journaux, en nous promettant minceur et santé sur la base de résultats pour le moins partiels.

TL;DR

  • Une nouvelle étude est sortie, annonçant que le sémaglutide (nom commercial Ozempic/Wegovy) permet une perte de poids de 10%, maintenue sur 4 ans ;
  • L’échantillon de population pour cette étude est composé en majorité d’hommes (contexte cisnormatif) blancs autour de 60 ans, sans diabète et ayant eu au moins un événement cardiovasculaire au cours de leur vie ;
  • Si les participant·es ont effectivement maintenu 10% de perte de poids sur 4 ans, le taux d’abandon est très élevé et ces résultats ne s’appliquent qu’à 10% de l’échantillon ;
  • Il est nécessaire que les auteur·ices communiquent sur les raisons ayant amené 90% des participant·es à quitter l’étude et modèrent leur conclusion.
  1. Ryan et al. (2024) Long-term weight loss effects of semaglutide in ob*sity without diabetes in the SELECT trial. In Nat Med. ↩︎
  2. Lincoff et al. (2023) Semaglutide and Cardiovascular Outcomes in Ob*sity without Diabetes. In NEJM 389(24):2221-2232. ↩︎
  3. Idem. ↩︎
  4. Voir l’article “Risque absolu VS. risque relatif”. ↩︎
  5. La série STEP (Effet du traitement par le sémaglutide chez les personnes souffrant d’ob*sité) regroupe les études conduites pour évaluer l’efficacité et la sécurité du sémaglutide chez les personnes grosses, avec ou sans problèmes de santé. ↩︎
  6. Une étude récemment publiée aux US a par exemple montré que 70% des patient·es observé·es (n = 169 250) poursuivaient la prise d’antagonistes de GLP-1 (sémaglutide et/ou liraglutide) passées 4 et seuls 42% poursuivaient après 12 semaines. Voir Blue Health Intelligence (2024) Issue Brief: Real-World Trends in GLP-1 Treatment Persistence and Prescribing for Weight Management. ↩︎
  7. Il n’est pas clair pourquoi les résultats communiqués sont ceux à 102 semaines, soit 2 ans, au lieu de 208 semaines, puisque l’étude est censée se concentrer sur les résultats sur 4 ans… ↩︎

Commentaires

Une réponse à “Sémaglutide et perte de poids : 4 ans de maintien ?”

  1. Avatar de Marilou
    Marilou

    Merci, merci, merci pour ce déchiffrage.

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