Ça allait se produire tôt ou tard : le Wegovy est arrivé sur le marché français.
Prenons donc quelques minutes pour faire le point en résumant les conditions d’accès ainsi que les principales caractéristiques du produit. Je finirai le post avec quelques mots sur ce que cette mise sur le marché peut représenter pour les personnes grosses.
Prescrire le Wegovy en France
Le mardi 8 octobre 2024, Novo Nordisk annonce que Wegovy est désormais disponible dans certaines conditions et sans remboursement. Il faudra donc débourser entre 200 et 300 euros par mois en attendant que les négociations sur le prix s’achèvent.1
Le traitement sera disponible pour les personnes de moins de 65 ans ayant un IMC égal ou supérieur à 35. La prescription se fera via un·e médecin spécialiste en “endocrinologie-diabétologie-nutrition ou titulaire de la formation spécialisée transversale ‘Nutrition appliquée’”. Elle est indiquée pour les personnes ayant tenté une perte de poids via régime et activité physique, mais n’ayant pas réussi à perdre le poids souhaité.
Qu’est-ce que le Wegovy ?
Derrière le Wegovy (perte de poids) et l’Ozempic (diabète) se cache le même actif : le sémaglutide. Cette molécule est utilisée dans le traitement du diabète du fait d’un quadruple effet :
- Stimulation de la production d’insuline ;
- Amélioration de la fonction des cellules bêta (qui produisent l’insuline) ;
- Inhibition de la sécrétion de glucagon (hormone hyperglycémiante) ;
- Ralentissement de la vidange gastrique.
À plus forte dose que l’Ozempic, le Wegovy a pour effets supplémentaires :
- La suppression (partielle) de l’appétit ;
- La réduction des envies alimentaires ;
- Une augmentation du sentiment de satiété.
Les études montrent que le Wegovy permet une perte de poids moyenne autour de 15% en un an.2 Les études existantes semblent indiquer une reprise de poids rapide à l’arrêt du traitement, voire une reprise lente au bout de deux ans sans arrêt du traitement.3 Une étude titrait que la perte de poids était maintenue sur quatre ans, mais j’ai déjà expliqué pourquoi ces résultats sont à considérer avec méfiance.4 On peut poser l’hypothèse qu’une fois le traitement commencé, il faudra le garder à vie, potentiellement en augmentant les doses progressivement.
Les effets secondaires les plus communs sont les nausées, vomissements, diarrhée et constipation, ainsi que la fatigue. Des effets plus rares mais plus graves sont les pancréatites,5 les problèmes de vésicule biliaire ou encore de reins.6 La question de l’augmentation de l’anxiété et des pensées suicidaires est posée. Enfin, il faut noter que l’utilisation étant relativement nouvelle chez les personnes non-diabétiques, des effets secondaires de long-terme peuvent encore être inconnus.
Cet actif est actuellement étudié dans la réduction des risques de maladies cardiovasculaires, le traitement de certaines dépendances (notamment tabac), de la maladie d’Alzheimer, de maladies auto-immunes mais aussi de certains problèmes du foie (stéatose hépatique, NASH) ou des reins.
Impacts
Revenons donc à ce que la mise sur le marché peut vouloir dire pour les personnes grosses. Dans une premier temps, nous verrons le renforcement du discours qui fait de la grosseur une maladie “chronique et récidivante” contre laquelle tous les moyens seront bons, y compris la prise de traitements. Cette rhétorique a été financée en grande partie par les industriels, reprise avec engouement par la profession médicale, mais rien de cela n’est nouveau. En effet, la médicalisation va bon train de puis les années 90.7
Cela se traduira certainement par une pression accrue sur les patient·es grosses, avec des recommandations vers les services d’endocrinologie et de prise en charge de l’ob*sité. On pourrait également voir le renforcement de mesures coercitives, forçant les personnes grosses à suivre un traitement de perte de poids pour accéder à d’autres soins. Dans un imaginaire dystopique (mais finalement assez réaliste, au vu des réformes néolibérales du système de santé), on pourrait aussi imaginer des malus aux personnes refusant de perdre du poids.
Avec la médiatisation cavalante du Wegovy (et des molécules qui arriveront sur le marché dans les cinq à dix années à venir), les pressions ne seront pas que médicales. Vous allez observer les célébrités, les influenceur·ses, mais aussi vos collègues et vos proches perdre du poids. Iels vous diront qu’iels n’ont jamais été aussi bien dans leur vie. Iels auront raison : dans une société ô combien grossophobe, leur perte de poids leur donnera accès : aux espaces publics, à la consommation de certains biens, et plus important encore, au respect.
Le body positive, dans sa version capitaliste et frivole, recevra le coup de grâce. Les marques ont déjà commencé à retirer leurs vêtements grande taille des rayons, si ce n’est de leur collection. Nos corps disparaîtront des affiches publicitaires, nos besoins seront à nouveau ignorées en toute tranquillité.8 La pensée du corps gros comme corps transitoire sera de nouveau au centre de toutes les discussions.9
Au milieu de tout cela, être et rester gros·se deviendra encore plus difficile que ça ne l’est déjà. Vivre dans un monde qui prétend combattre la grossophobie tout en voulant faire disparaître les gros·ses, c’est forcément compliqué.10 Et pourtant, ce que l’on sait de l’impact délétère des fluctuations de poids11 ou d’un système de santé pondéro-centré12 n’a pas changé. Pire, en l’absence de données de moyen à long terme, et considérant les scandales causés par les traitements passés,13 il n’est pas exclu que cette “solution miracle” nous réserve des surprises peu agréables.
Pour conclure
Je sais qu’avec la médicalisation et la grossophobie sous stéroïde, ça ne va pas être évident émotionnellement. Il y aura la pression des médecins, celle des proches. Les commentaires non sollicités, dans la rue, au travail. Les corps qui changent sur les réseaux. Les pubs à tout va.
J’espère que dans ce tourbillon, ce compte pourra vous apporter certaines des informations dont vous aurez besoin. Et qu’il pourra aussi servir de lieu d’échange et de solidarité.
Je pense fort à vous.
- On rappellera ici que selon une estimation, produire du sémaglutide (0.77mg/jour) coûterait entre $0.89 et $4.73/mois. Voir le post “Penser le coût de l’ob*sité” (8 mai 2024). ↩︎
- Les résultats des études sont d’ailleurs obtenus avec une combinaison du traitement, d’un régime hypocalorique et d’activité physique. ↩︎
- Rubino et al. (2021) Effect of Continued Weekly Subcutaneous Semaglutide vs Placebo on Weight Loss Maintenance in Adults With Overweight or Obesity: The STEP 4 Randomized Clinical Trial. JAMA. 325(14):1414–1425. ↩︎
- Voir le post “Sémaglutide et perte de poids : 4 ans de maintien ?” (29 mai 2024). ↩︎
- Il existe une contrindication pour les personnes ayant un antécédent de pancréatite sévère. ↩︎
- Chez les rats, on a observé un risque de certaines tumeurs des cellules C de la thyroïde. Les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de carcinome médullaire de la thyroïde ou de néoplasie endocrinienne multiple de type 2 doivent éviter le Wegovy. ↩︎
- Oliver (2006) Fat Politics: The Real Story Behind America’s Obesity Epidemic. ↩︎
- Je note ici que pour les personnes très grosses, c’était déjà le cas. ↩︎
- Ronti (2018) De la liminalité de la grosseur : stratégies spectaculaires et identité de gros. In Sextant 38. ↩︎
- Voir le post “Lutter contre la grosseur et la grossophobie ?” (14 décembre 2023). ↩︎
- Voir le post “Régimes yoyo et santé” (23 avril 2024). ↩︎
- Voir le post “La résilience du paradigme de santé pondéro-centré” (1 mai 2024). ↩︎
- Voir le post “Pharmacologie de l’ob*sité” (16 novembre 2023). ↩︎
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