Journée mondiale contre l’ob*sité

Nous voilà à nouveau face à la journée mondiale contre l’obésité.

Une nouvelle journée pour pathologiser les corps gros et rêver de leur disparition.

Une nouvelle journée pour nourrir la panique morale autour des coûts économiques associés à la grosseur1 et publier de nouvelles statistiques effrayantes. Le tout avec, en arrière-plan, la commercialisation massive de nouvelles molécules amaigrissantes “miracle”.

Bref, que du bonheur.

Une étrange cohabitation

En 2025, nous sommes dans une situation assez étrange.

D’un côté, on observe une reconnaissance accrue du fait que la grosseur n’est pas qu’une question de volonté individuelle. On met en lumière les nombreux facteurs (génétiques, environnementaux, socio-économiques, etc.) qui peuvent avoir un impact sur le poids, mettant de plus en plus au coeur de la réflexion la question d’un “changement systémique” pour promouvoir une meilleure santé2. On questionne la validité de l’IMC comme indicateur de santé3. On souligne que la grosseur ne se règle pas à coups de déficit calorique et/ou d’activité physique4 et que la perte de poids de long-terme est difficile et non sans risque.

De l’autre côté, nous avons un secteur qui refuse de remettre en question l’idée que la grosseur est nécessairement signe de mauvaise santé (présente ou à venir), continue son effort de médicalisation5, catégorise toute donnée ne rentrant pas dans ce modèle comme “paradoxe de l’ob*sité”6, tout en laissant les recommandations inchangées : diminuer les apports caloriques et augmenter l’activité physique. Petit “bonus” : les traitements à base d’antagonistes de GLP-1, pour celleux qui entrent dans les critères et supportent les effets secondaires7.

Pire, on propose maintenant aux États-Unis le déploiement de nombreuses de ces méthodes aux enfants, avec des régimes pouvant commencer à 2 ans, des prises médicamenteuses à 12 et des chirurgies à 138.

Les limites du contrôle pondéral

Face à ces recommandations vieilles de plusieurs décennies, des chercheur·ses et professionnel·les de santé tente de rappeler que la perte de poids est rarement durable ou soutenable9, tandis que les efforts pour contrôler le poids peuvent à leur tour causer des soucis de santé physique et mentale10. En parallèle, iels soulignent l’importance d’une alimentation variée, d’une bonne santé cardio-respiratoire, ainsi que d’une diminution du stress et d’un temps de repos suffisant, indépendamment du poids11. L’IMC, il y a belle lurette qu’on sait qu’il ne peut être utilisé comme indicateur de santé12, merci de bien vouloir arrêter de le mobiliser.

La littérature met également en évidence l’impact négatif de la grossophobie. Contrairement à ce que les bro peuvent nous dire sur les réseaux, insulter les personnes grosses et les stigmatiser ne mène pas à la perte de poids, bien au contraire13 14.15 Quant à la grossophobie médicale, elle a pour conséquence une moins bonne prise en charge des patient·es tout en causant un refus ou un retard de recherche de soins16. CQFD : elle impacte négativement la santé des personnes grosses.

Status quo

Nous voyons tous·tes que l’arrivé des antagonistes de GLP-1 comme outil de perte de poids ont bouleversé la discussion sur la grosseur, remplaçant bien vite les quelques avancées arrachées par les activistes pour une société plus juste par une nouvelle injonction à la minceur.

Les communicant·es promeuvent un message pseudo-bienveillant (qui tourne bien vite à la condescendance) mais toujours menaçant sur l’ob*sité comme “maladie chronique et récidivante”, promettant la santé et le bonheur aux personnes concernées, ainsi que des jours heureux à l’industrie et ses actionnaires.

Le sacro-saint paradigme de santé pondéro-centré est sauvé17. Hourra !

Tout cela pour dire qu’en 2025, alors que l’industrie nous dit que le regard sur la grosseur a changé, il n’en est rien.

On nous dit que c’est la fin de la stigmatisation mais on continue de faire de nos corps des repoussoirs à faire disparaître. On nous promet plus de respect tout en produisant un narratif qui fait de nous des êtres malades, coûteux et encombrants. On affirme vouloir nous humaniser alors qu’on répète en boucle les mots “morbidité”, “surmortalité” et “épidémie”.

(Mais pas d’inquiétude, il reste un peu de budget pour une campagne anti-grossophobie !)

Résistance

À l’heure de la consécration de l’”ob*sité clinique”, des injections et du retour au heroin chic, il peut être particulièrement difficile de simplement vivre sa vie en tant que personne grosse. Et ça risque d’empirer.

En effet, avec la montée de mouvances conservatrices, si ce n’est post-fascistes, la glorification du corps productif, valide, blanc et mince, ne fera qu’augmenter, la pression contre nos corps avec.

Face à cela, il faudra tenir bon, s’entraider et lutter.

Ensemble.

NB : N’hésitez pas à lire les mots que nous avons publiés avec @corpscools l’année passée.

  1. Voir l’article “Les chiffres de l’ob*sité” (2 novembre 2023). ↩︎
  2. La campagne 2025 du World Ob*sity Day est par exemple axé sur le slogan “Changing Systems, Healthier Lives”, soulignant de fait l’importance de facteurs systémiques sur la santé de tous·tes. ↩︎
  3. Rubino et al. (2024) Definition and diagnostic criteria of clinical obesity. In The Lancet Diabetes & Endocrinology 13(3): 221-262. ↩︎
  4. Pour une explication du mythe de la balance énergétique, voir l’article “Calories in, Calories out” (29 janvier 2024). ↩︎
  5. Rubino et al. (2024) ↩︎
  6. Voir l’article “Affaire Flegal” (26 juin 2024). ↩︎
  7. Pour une description du fonctionnement de ces molécules, voir l’article “Commercialisation du Wegovy” (9 octobre 2024). ↩︎
  8. Hampl et al. (2023) Clinical Practice Guideline for the Evaluation and Treatment of Children and Adolescents With Obesity. In Pediatrics 151 (2): e2022060640. ↩︎
  9. Par exemple, la reprise de poids est rapide suivant l’arrêt d’un traitement au sémaglutide et peut survenir avant même l’arrêt (voir l’article “Sémaglutide et perte de poids”, 29 mai 2024). ↩︎
  10. Voir l’article “Régimes yoyo et santé” (23 avril 2024). ↩︎
  11. Voir par exemple l’article « Santé ≠ Poids” (6 décembre 2024) pour l’impact positif d’une bonne santé cardio-respiratoire. ↩︎
  12. Arsenault, Carpentier, Poirier et Després (2024) Adiposity, type 2 diabetes and atherosclerotic cardiovascular disease risk: Use and abuse of the body mass index. In Atherosclerosis 394: e117546. ↩︎
  13. Puhl, Moss-Racusin and Schwartz MB (2007) Internalization of weight bias: implications for binge eating and emotional well-being. In Obesity (Silver Spring). 2007;15(1):19–23 ↩︎
  14. Carels, Young, Wott et al. (2009) Weight bias and weight loss treatment outcomes in treatment-seeking adults. In Ann Behav Med. 2009;37(3):350–355. ↩︎
  15. On observera d’ailleurs que la médicalisation de la grosseur, systématisée dans les années 1990 (Oliver 2006, « Fat Politics »), n’a pas montré son efficacité en 30 ans, puisqu’on n’arrête pas de nous dire que nous sommes de plus en plus gros·ses. Peut-être faut-il commencer à se poser quelques questions ? ↩︎
  16. Pour un résumé, voir Puhl et Heuer (2010) Obesity Stigma: Important Considerations for Public Health. In American Journal of Public Health 100(6): 1019-1028. ↩︎
  17. Voir l’article “La résilience du paradigme de santé pondéro-centré” (1 mai 2024). ↩︎


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *